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Nathalie Appéré, représenter par la voix

Nathalie Appéré, représenter par la voix

Nathalie Appéré est maire de Rennes, c’est-à-dire ma maire. Cela m’a donné envie d’aller l’interroger sur la relation qu’elle noue avec la voix en tant que femme politique. Députée PS en 2012, élue maire de Rennes en 2014 puis réélue en 2020, Présidente de Rennes Métropole, elle a une solide expérience de l’arène politique. Sa fonction représentative donne à sa voix une légitimité qui lui permet de s’élever au-delà d’elle-même. Plus qu’une femme en politique, elle se sent être la porte-voix de celles et ceux qui lui font confiance pour faire entendre leur voix

 

Quelle a été le rôle de votre voix dans votre parcours de femme politique ?

Je dois vous avouer que c’est une question que je ne me suis jamais posée. C’est vrai que la politique est une affaire de mots, et l’art oratoire participe de la mise en mots de l’action. C’est par le discours qu’on formule des idées, des convictions, qu’on représente l’institution dans l’hypothèse du mandat, qu’on convainc et qu’on rend compte d’une action. La voix c’est la médiatisation d’une pensée politique, et c’est de fait un élément de rapport à l’autre et de transmission, qui en cela n’est pas différent de ce qu’elle est dans toute interaction humaine, si ce n’est que pour nous le discours est public.

Vous y êtes plus exposée sans doute…

C’est ça, le discours a vocation à s’adresser, même si les cercles peuvent être à géométrie variable, à un public différent voire relativement nombreux. Est-ce que je me suis demandé si ma voix servait ou desservait mon message ? J’ai en tête des situations relativement précises où le manque de puissance vocale peut être un obstacle supplémentaire dans la prise de parole. Si je pense à des configurations d’assemblées, de conseils municipaux, j’ai en tête quelques collègues qui ont une voix qui porte beaucoup, une sorte de capacité à la vocifération, ce qui m’oblige à utiliser d’autres outils d’autorité que le fait de chercher à couvrir la voix. Le silence peut en être un, pour renvoyer l’auteur de la goujaterie verbale à une forme de réflexion sur ce que ça veut dire de hausser la voix et de couvrir la voix. C’est une situation où on peut ne pas être à armes égales, dans la capacité à être entendus.

J’ai en tête un collègue qui a cette capacité à faire que tout mot prononcé puisse atteindre une puissance vocale assez surprenante. Je me dis régulièrement que je ne vais pas aller sur le même terrain. Ça m’arrive d’y aller aussi, mais de manière choisie parce que les armes sont inégales. La puissance est quand même associée à la virilité, même si je ne sais pas mesurer la part du symbolique et de la réalité physiologique. Haranguer une foule est spontanément plus compliqué quand on est une femme. On s’impose sans doute des limites dans la manière d’être et de faire. Le timbre selon qu’il est plus ou moins audible ou agréable va également servir ou desservir un propos. Certains vont avoir une capacité à l’art oratoire et entraîner l’écoute indépendamment du contenu et de son intérêt. D’autres vont être desservis par leur timbre ou par leur accent, et le contenu va en être disqualifié.

Les timbres aigus, plus fréquents chez les femmes, vont être perçus comme manquant d’autorité, de profondeur ou d’incarnation. L’aigu c’est ce qui est un peu obtus géométriquement, et porteur de fermeture là où le propos peut ne pas l’être. Cette dimension oratoire en politique prend de fait une part assez importante. Dans la manière de poser sa voix, se joue la perception de la crédibilité de l’interlocuteur et donc du propos.

Avez-vous eu besoin de travailler ou de modifier votre voix pour être mieux entendue ?

A titre personnel pas du tout, j’ai une voix relativement grave, dont je n’ai jamais perçu qu’elle était un obstacle. Peut-être à tort d’ailleurs, parce qu’on ne s’entend pas ou qu’on ne supporte pas d’entendre sa voix. Je vous avoue ne m’être jamais demandé si ma voix était pour moi un obstacle ou un aspect à travailler, parce qu’on ne me l’a pas renvoyé non plus. Peut-être cela serait-il utile néanmoins.

De votre point de vue, perçoit-on différemment la voix d’une femme politique et reçoit-on différemment son message en raison de sa voix ?

Que la politique ait été une affaire d’hommes pendant des siècles, c’est une certitude. Que la dimension oratoire ait été associée à la puissance et à la virilité, en est une autre. Et qu’en permanence le combat pour l’égalité soit encore à mener, c’est une conviction. Maintenant on va interrompre plus facilement une femme qu’un homme, et elle va moins souvent prendre la parole. Est-ce lié à la voix elle-même ou à la représentation symbolique de ce qu’est une femme et de la manière dont elle doit toujours être meilleure que ses homologues masculins pour s’autoriser et être autorisée ? Je l’ai plutôt perçu comme ça, comme un combat pour l’égalité, en étant féministe, plus que sur la question de la voix en tant que telle.

Dans certaines situations, est-ce que le fait que vous preniez la parole en tant que femme politique a pu au contraire être un privilège pour vous, une aide ou une raison supplémentaire d’être entendue ?

La fonction crée la légitimité, et réciproquement. Dans les positions d’élus qui sont les nôtres, à un moment on a pleinement conscience qu’on est autre chose que soi-même. Ma voix est aussi la voix des autres, elle est la traduction de ce qui peut m’être transmis, confié, de ce que j’entends et restitue. J’ai aussi des convictions qui sont sociales, humanistes, avec l’idée que la responsabilité qu’on me donne, la confiance qui peut s’exprimer dans une élection est aussi destinée à faire porter une voix, et à faire entendre d’autres voix qui ne seraient peut-être pas entendues. En cela c’est un privilège. Je n’ai pas à lutter pour que ma voix soit entendue. La fonction qui est la mienne contribue à ce que chacun puisse être attentif. Quand le lieu est exclusivement politique, il se joue d’autres choses, mais face à des tiers ou à un public, la maire qui s’exprime reçoit des marques immédiates de respect. Les éléments protocolaires républicains et les représentations symboliques font que j’ai accès à cet espace d’expression.

C’était la même chose quand vous étiez à l’Assemblée nationale ?

Non là c’est différent. L’Assemblée nationale, c’est une assemblée de pairs et c’est le lieu où j’ai appris ou compris véritablement ce qu’était la testostérone en politique, il y a de l’adrénaline et de la tension ! Je n’avais jamais ressenti, en étant élue locale auparavant, cette forme de machisme qui est sans doute exacerbé en politique : théâtralisation très forte, invective, parole spontanée, tout ce qui permet de comptabiliser un nombre de mots et d’expressions sur les sites de suivi de l’activité parlementaire. Il y a aussi les éléments surannés des codes masculins du discours, du paraître et de la manière d’être. Peut-être que les choses ont changé, mais moi j’ai appartenu à une législature où les femmes étaient encore largement minoritaires, moins de 20%. L’apparence, la tenue vestimentaire et sans doute la voix, étaient encore regardées comme des attributs minoritaires, liés à un genre minoritaire dans la composition de l’assemblée. Le stress joue un rôle important dans les premières prises de parole à l’Assemblée nationale – d’autant qu’on n’est pas tous programmés pour cela-. Dans les premiers mots prononcés, se jouent sans doute des choses liées à la voix.

Vous souvenez-vous de vos premières prises de parole à l’Assemblée nationale ? Vous vous étiez préparée d’une façon particulière ?

Oui je m’en souviens. Je m’étais surtout préparée sur le fond, en ayant toujours eu la conviction que la qualité du propos avait vocation à primer sur la forme. Je n’ai jamais fait de coaching média ou de coaching discours, j’y suis allée avec les qualités et les défauts qui sont les miens, comme quelque chose qui s’imposait à moi mais en ayant toujours le sentiment de devoir être à la hauteur sur le fond.

Dans cette situation-là vous n’avez pas reçu des réactions qui ont été difficiles à vivre pour vous ?

Non, je n’ai pas de souvenir personnel de cette nature. Après, qu’on soit plus ou moins écoutée et que ce soit plus ou moins convainquant, certainement. Mais de l’avoir reçu comme une blessure ou quelque chose qui marque, pas vraiment.

Avez-vous assisté au sein de l’hémicycle à des discours de femmes qui ont reçu des réactions agressives de la part de collègues masculins ?

Oui bien sûr. On peut se poser la question de ce qui se joue en dehors de la misogynie et du machisme ordinaire… Qu’est ce qui provoque ces réactions-là ? J’étais présente pour la robe de Cécile Duflot, ou quand un parlementaire du Morbihan a jugé utile de faire la poule quand une collègue s’exprimait. Ce sont des scènes qui révoltent, et c’est toujours une invitation à être meilleure, à montrer ce qu’il y a d’inférieur à passer par ce type de réactions. Ce que je ne sais pas, en revanche, c’est faire la part des choses entre ce qui relève de l’expression d’une femme et ce qu’elle est directement. J’ai vécu à l’Assemblée des discours de femmes de grande qualité, capables de mettre beaucoup d’émotion ainsi qu’une grande intensité dans leurs propos. Certaines femmes, même si elles sont moins nombreuses, parce que ce n’est pas ce qui est le plus travaillé et le plus spontané, ont aussi une parfaite maîtrise de l’art oratoire : une Christiane Taubira à l’Assemblée nationale fait entendre une voix qui est singulière, à la fois par son timbre, par la réflexion qui est la sienne, par la poésie et l’émotion qu’elle est capable d’exprimer, par son érudition et ses convictions. Ce sont de grands discours de femmes. Maintenant, est-ce un grand discours parce que Christiane Taubira est une femme ou est-ce un grand discours parce que Christiane Taubira est Christiane Taubira ?

Même lorsqu’il s’agit de grands discours, est-ce que l’écoute change parce que c’est un discours de femme ? Faut-il à votre avis adopter les codes masculins du discours pour obtenir un même degré de crédibilité que les hommes ?

Je ne crois pas qu’il y ait de manière genrée de faire de la politique. On fait de la politique avec ce qu’on est, avec des convictions. J’ai toujours refusé de m’enfermer dans l’idée qu’il me fallait faire certains choix parce que j’étais une femme. C’est autre chose qui me guide, je ne suis pas réductible à un genre. Je trouve cette dimension essentialiste (« parce qu’on est une femme on serait plus comme ci ou comme ça »), enfermante et réductrice, non conforme à la vision de l’égalité qui est la mienne. Cependant, que les codes du discours soient des codes masculins et que nous ayons, en tant que femmes, intériorisé la nécessité de les endosser, c’est sans doute un fait. Il reste que les qualificatifs pour caractériser l’expression des femmes et des hommes sont différents. Un homme a de l’autorité, une femme est autoritaire, un homme s’enflamme, une femme est hystérique. On voit bien que dans la manière d’intégrer certaines positions ou postures, on continue à nous faire un procès en illégitimité plus ou moins conscient. Typiquement, l’autorité ou la passion restent des attitudes censées ne pas nous être accessibles.

Vous pensez qu’aujourd’hui encore une femme ou un homme qui prend la parole ne reçoit pas la même écoute ?

Je pourrais y souscrire.

J’ai le sentiment que pour vous, porter la voix de tout ceux qui vous font confiance, c’est ce qui prime sur le fait d’être une femme en politique. Qu’en pensez-vous ?

Un porte-voix oui, c’est comme ça que je vis mon mandat en tout cas. Dans le quotidien de la fonction de maire, vous vivez les peines des gens comme si c’étaient les vôtres, les joies comme si elles vous touchaient aussi. C’est une fonction immersive, donc ce sont ces petits bouts de relations qui sont tissés qui construisent ce que vous faites ou dites.

Peut-être aussi votre puissance de personne politique, votre assise ?

Oui, et puis cela me permet une mise à distance par rapport à moi-même. On est plus que soi, et du coup la voix qu’on porte met à distance ses propres turpitudes, elle est autre chose que cela. Du coup elle autorise. Elle n’empêche pas de douter, mais au moment où elle pose ce que vous dîtes, elle se pose et vous fait éprouver votre légitimité.

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