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Fanny Dufour, rendre leur voix aux femmes

Fanny Dufour, rendre leur voix aux femmes

La voix de Fanny, c’est d’abord un lien joyeux à l’autre. On y entend la chaleur humaine, la simplicité qui vient du cœur et le désir de proximité qui tout de suite rend possible le partage. C’est aussi la voix d’une entrepreneuse qui sait communiquer sa vision et donner envie de se mettre en marche pour changer le monde. Fanny Dufour a fondé les Nouvelles Oratrices, des cercles d’entraînement à la prise de parole des femmes, qui essaiment désormais dans la France entière. Nous avons parlé ensemble de l’auto-censure des femmes et de la façon dont elles peuvent dépasser leurs appréhensions pour oser prendre la parole avec confiance et sortir du syndrome de « la petite voix »…

Pour accéder au site des Nouvelles Oratrices c’est ici

 

Qu’est-ce que les femmes que vous accompagnez disent sur leur voix ?

Dans ce qui revient la plupart du temps, c’est vraiment : « je n’aime pas ma voix, je n’aime pas m’écouter » ou, ce qui a un rapport, « on me dit que j’ai une petite voix ». Et souvent : « on me dit que j’ai une petite voix et je le sais ; comment faire pour l’envoyer un peu plus parce que de toute manière je parle et je parlerai toujours comme ça ». Ce ne sont ni les problématiques d’aigus ou graves, c’est plutôt le manque de volume qui les impacte.

 « Petite voix », c’est intéressant ce mot. Donc c’est souvent ce qualificatif qui revient ?

 Oui et je trouve qu’il catégorise et entraîne l’empêchement. Avoir une petite voix c’est aussi se condamner à faire de petites choses… et à manquer tout le temps de légitimité ! Alors l’appréhension ou le stress s’exprime aussi souvent d’abord par la voix. Quand les femmes prennent la parole, elles sont comme prisonnières de leurs perceptions : « oh mais vous avez entendu ? Je le sens, j’ai la voix qui tremble, j’ai la voix cassée, j’ai la voix qui déraille, j’ai la voix qui part dans les aigus ! ». Nous on ne s’est rendu compte de rien, mais leur perception à elles prend le dessus et leur fait perdre tous leurs moyens.

Est-ce que ces femmes parlent aussi de la façon dont on les entend et dont on les écoute ?

Ça ressort beaucoup, mais ça va plutôt être identifié comme des difficultés à s’imposer que comme des problématiques de voix. Cela prend souvent la forme de comparaison avec quelqu’un qui en impose, qui parvient à parler plus fort et à s’affirmer. Quand elles disent qu’on ne les entend pas très bien, c’est souvent en fait qu’on leur coupe la parole

Est-ce qu’à votre avis, c’est toujours le cas ?

Alors bien sûr, il y a beaucoup de manterrupting. Mais je pense aussi qu’elles s’autocensurent beaucoup. Elles commencent à parler et elles lâchent l’affaire, elles ne vont pas au bout de leur idée parce qu’elles ont l’impression que de toute façon elles ne seront pas entendues par ce type de personne, dans ce type de propos ou ce type de contexte. Ce qui veut dire qu’elles anticipent aussi beaucoup le fait qu’elles ne seront pas entendues. Et après, elles vont se demander comment réussir à capter l’attention. Par exemple : « Je ne me sens pas claire, je divague, je pars ailleurs pendant deux ou trois minutes, je perds les gens et donc ils ne m’écoutent plus », ou « ce que je dis ne doit pas être suffisamment intéressant, alors ils ne m’écoutent plus ».

Donc elles associent le fait de ne pas être écoutées à un manque de compétence de leur part ?

 Oui, clairement. De toute manière, c’est de ma faute, je n’ai pas été suffisamment attractive, je n’ai pas été suffisamment claire ou je ne suis pas en capacité de gérer quelqu’un qui va me pousser, me challenger, parler plus fort que moi. Je lâche et c’est moi qui lâche, c’est de ma faute, ce n’est pas à la personne d’arrêter de parler.

 Cela rejoint la tendance en entreprise à cibler la compétence des femmes à la prise de parole et jamais celle des hommes à l’écoute. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi cela rejoint d’une façon globale la recherche de l’égalité. Est-ce que c’est toujours aux femmes de faire le boulot ? « Vas-y, ce n’est pas grave, tu es tombée trois fois, on t’a fermé les portes, mais il faut que tu t’accroches cocotte ! ». Même moi j’entretiens cette idée-là avec les Nouvelles Oratrices, en disant que c’est aux femmes de prendre leur place. Il faut les deux en fait.

Il faut les deux, mais je crois qu’il y a un gros blanc pour le moment de l’autre côté.

Oui, alors il y a des hommes qui bougent. Parfois on me demande en entreprise ce que les hommes peuvent faire pour accéder à plus de conscience. Mais ça reste quand même encore aux femmes de bouger et à trouver des solutions sur le terrain.

C’est encore aux femmes par exemple qu’on demande de changer de voix ?

 Oui, clairement. J’ai un exemple récent. Nous devions accompagner 5 personnes – 4 hommes et une femme – qui prenaient la parole lors d’un événement. On débriefe après avec le client et on passe ne revue chaque intervenant. Quand on est arrivé à la femme, la réaction a été : « ah oui, elle a été super, mais quand même, il y a des gens qui étaient dérangés par sa voix, elle a quand même une voix de poissonnière ». Et là j’ai eu un blanc, je n’ai pas su quoi répondre. Et pourtant la personne qui disait ça, c’est un homme d’une quarantaine d’années, qui porte de belles valeurs, de co-construction, machin tout ça. BIM, on passe en revue la nana : « ah des gens ont été quand même dérangés par sa voix de poissonnière » ! J’étais énervée contre moi-même d’avoir lâché, je me suis dit que j’aurais peut-être dû faire la remarque…

 Mais qu’est-ce que vous auriez pu dire ?

 Je me dis que ça aurait été bien de faire remarquer qu’on vient de passer en revue les autres intervenants, qu’on a parlé de leurs compétences, de l’intérêt de leurs contenus. Et que là, le seul retour sur la femme, ce n’est pas le contenu de son intervention, c’est sa voix de poissonnière. Je me dis juste que j’aurais aimé mettre le doigt sur : « attention stéréotype ! ».

Probablement que si ça arrive de nouveau vous serez en mesure de le faire. Mais sans doute nous passons toutes par des moments de sidération face à des situations ou des remarques complètement décalées et inattendues. Est-ce que les femmes qui se forment avec les Nouvelles Oratrices disent que le parcours a changé leur voix ou leur rapport à leur voix ?

Nous n’avons pas de module spécifique sur la voix. En tout cas, elles prennent plus d’assurance, ça c’est sûr. Et elles prennent conscience qu’elles peuvent faire quelque chose avec leur voix qu’elles n’imaginaient pas avant. Ce qui est sûr, c’est que le travail sur la prise de parole a une grosse incidence sur le rythme et la prosodie. Notamment sur l’accueil des silences, chose qu’elles ne s’autorisaient pas avant. Quand elles font leur mini grand oral à la fin, elles osent mettre de l’émotion aussi dans leur façon de parler, rythmer, utiliser des silences.

Est-ce qu’elles témoignent que ça change progressivement l’écoute qu’elles reçoivent de la part des autres ?

On ne pose pas forcément cette question-là En tout cas, elles osent beaucoup plus. Elles disent ce qu’elles ont à dire. Elles nous disent toujours : « ça y est, maintenant j’arrête de me taire en réunion, j’arrête d’attendre d’avoir la meilleure idée pour parler, et puis finalement, la réunion est passée ».

J’avais une question un peu plus personnelle à vous poser : un an après, est-ce que vous avez l’impression d’avoir changé dans votre voix et dans votre relation avec elle ?

Je pense que j’en ai pris conscience un peu plus. Je me suis mise à travailler le chant par exemple, chose que je ne faisais pas. Donc oui, ma relation à ma voix a changé, notamment par le chant. Je me dis quand même que c’est dommage d’avoir attendu 38 ans pour savoir comment ça fonctionne : quelles sont les différentes caisses de résonance intérieures, en quoi le souffle, la colonne d’air va changer la voix. J’ai compris que c’était quelque chose que je pouvais utiliser. Et de fait, je me fatigue moins.  C’est souvent aussi ce que nous disent les femmes en début de cercle : « je suis formatrice ou je suis enseignante, je suis élue, quand je dois parler toute une journée ou quand je suis fatiguée, je ressens beaucoup de gêne vocale à la fin ». Et ça, en apprenant à respirer, en faisant des exercices de détente, ça change.

Est-ce que le fait d’avoir développé ce projet a changé quelque chose à votre voix et à votre façon de l’utiliser ?

J’ai pris confiance en ma voix. En tout cas, j’ai conscience d’y penser. Plus globalement, de me sentir mieux aussi parce que je me sens peut-être plus à ma place. Même quand je suis fatiguée, ça n’est pas grave. Je l’associe plus à faire quelque chose qui pour moi est utile ou qui a du sens. Ça me permet d’avoir une plus grande confiance en moi et donc une meilleure détente physique dans ce je fais.

Et vous, dans votre expérience d’entrepreneuse, est-ce que vous vous sentez écoutée ? Ou est-ce que vous êtes de temps en temps aussi confrontée à des personnes, et notamment des hommes, qui vous coupent la parole, qui ne vous écoutent pas ou qui remettent en cause par leur regard, leur façon de parler, votre légitimité ?

Pas trop. Je pense que maintenant non, je ne laisse plus la place à ça.

Donc ça veut dire que ça pouvait arriver avant ?

Ça pouvait arriver. Alors j’ai conscience que ce que je vais dire entre dans la catégorie c’est ma faute, mais en tout cas, je présentais mon projet en attendant une validation, une approbation, en étant un peu positionnée comme une petite fille qui demanderait : « est-ce que c’est bien ? ». Certainement, avec la voix moins posée aussi. Maintenant, depuis les Nouvelles Oratrices, je me sens beaucoup plus à l’aise parce que la plupart du temps je m’adresse à des femmes.

Et le fait de s’adresser à des femmes, ça change quoi ?

Clairement, presque tout. En termes de démarche commerciale, par exemple : je sais que je suis quelqu’un, du genre la petite fille adorée de mon papa et que j’ai encore à évoluer là-dessus malgré mes 38 ans. Donc j’ai souvent cette pression de me dire que je suis face à un homme adulte et qu’il va falloir que je me vende, que je propose un prix, que je présente au téléphone. Avant j’avais beaucoup de mal avec ça. Maintenant, je me sens investie d’une mission que je sais utile aux femmes que j’accompagne ; et puis j’ai beaucoup plus de femmes au téléphone, donc j’ai envie de montrer l’exemple pour leur donner envie et les rassurer par ma bienveillance. De devoir incarner ce que je dis, ça m’aide beaucoup. En fait, je n’ai plus de soucis pour décrocher mon téléphone, présenter le projet, etc.

En même temps, est-ce que ça change les choses pour vous parce que les femmes vous écoutent différemment ?

 Ah ça c’est vrai aussi ! Déjà, moi, je me mets peut-être moins dans l’optique qu’il faut batailler pour avoir la parole. Je trouve que c’est plus fluide entre femmes. Et comme peut-être on en est victime soi-même, on va être plus attentives à ne pas couper la parole, ou alors le reconnaître et s’excuser : « oh ! pardon, je t’ai coupé la parole, excuse-moi, je voulais dire ça, pour ne pas oublier, mais vas-y parle toi ».  Je pense qu’il y a une écoute différente chez les femmes et beaucoup plus de politesse. Dans les fins de cercle, les femmes disent qu’elles sont surprises d’avoir trouvé cette bienveillance, cette écoute et cette collaboration. C’est vrai que le mot écoute ressort aussi, ça fait du bien.

Si vous avez le sentiment que vous êtes mieux écoutée par des femmes, comment cela se passe avec les hommes ?

Je vais peut-être batailler pour reprendre la parole si je vois qu’on me coupe, ou je vais vite être agacée. En tout cas, il n’y aura pas de « oh pardon je t’ai coupé la parole ». Et dans les cercles, les autres femmes disent souvent qu’elles lâchent l’affaire, qu’elles se taisent. Si un homme cherche à prendre le dessus ou cherche à impressionner ou à challenger, tout de suite même, elle se ferment.

En tant que femme entrepreneuse, vous avez reçu des retours particuliers ?

Oui, j’ai l’impression qu’il y a toujours une difficulté avec l’ambition des femmes. J’ai dû insister pur faire entendre que j’avais l’ambition de monter mon entreprise, de la développer, d’avoir des salariés. Et j’ai cette impression que le regard est différent selon qu’on est un homme ou une femme. On est comme surpris par l’ambition d’une femme… Comme si on devait se satisfaire déjà de ce qu’on a. Au début quand je disais que je voulais monter une franchise, exporter l’idée dans plusieurs villes, on m’a dit « c’est déjà bien tu sais, tu fais déjà ça à Rennes » ; ou quand je disais que j’allais embaucher des salariés : « tu ne veux pas prendre des stagiaires ? ». Après on me disait que c’était super, mais c’était souvent la première réaction. Moi je veux faire les choses bien, je veux les faire en grand, et je trouve ça normal.

Et comment ont réagi les professionnelles du milieu ?

Très bien. Souvent des coachs en prise de parole me disent : « je suis dans telle ville et ça m’intéresse ». Je suis contente parce que ça montre ce côté collaboratif et pas compétitif des femmes. En fait il y a de la place pour tout le monde. C’est un peu : « fais ton business, et si on peut être ensemble sur un projet, tant mieux et que chacune y gagne. Et si ça ne se fait pas, tant pis ». Mais on n’est pas dans la peur de la concurrence, et ça je trouve ça super !

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