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Alexandra Lamy, ma voix, ma famille

Alexandra Lamy, ma voix, ma famille

La voix d’Alexandra Lamy est reconnaissable entre mille : c’est une voix à la fois un peu éraillée et à la fois remplie de soleil, de sourire et d’énergie. Une voix libre qui ne s’embarrasse pas de l’image qu’elle renvoie et qui se donne à entendre telle qu’elle est, dans toute sa vivacité, son enthousiasme et sa vitalité. J’ai accompagné Alexandra Lamy au Centre Tomatis de Paris pendant plus d’un an, pour l’aider à affiner sa perception de la langue anglaise et à en fluidifier l’expression. Elle a eu la gentillesse d’accepter de me parler de sa voix, de ses débuts difficiles et de l’étrange familiarité vocale qu’elle partage avec sa sœur Audrey et sa fille Chloé.

Pour écouter la voix d’Alexandra Lamy c’est ici

 

Je sais que vous avez une histoire très particulière avec votre voix. Pouvez-vous me raconter l’épisode de votre vie qui a failli vous coûter votre carrière de comédienne ?

J’avais 16 ans et j’étais dans le sud, où je faisais du théâtre depuis 3 ans. Je venais de rentrer au Conservatoire. Et je rencontre dans un repas une amie de ma mère, ORL, qui me regarde et me dit : « Toi, il faut que tu viennes me voir parce que tu as un souci à la voix… ». Je vais à son cabinet où elle me rentre dans la gorge cette caméra qui est tellement horrible et qui donne envie de vomir. Pour moi, c’était déjà très violent. Et elle me dit tout de suite d’une façon très raide : « Alors toi ma fille, c’est terminé. Tu as un souffle dans la voix, tes cordes vocales ne s’accolent pas bien, donc le théâtre, il faut que tu oublies, c’est fini. Tu ne pourras jamais tenir une pièce de théâtre, tu ne pourras jamais jouer sur la longueur ».  Ça a été le drame de ma vie ! Ses paroles m’ont complètement traumatisée. Je suis sortie en larmes, c’était horrible pour moi.

Mais vous avez quand même continué…

Malgré tout, j’ai quand même continué à faire du théâtre. Mais du coup, la voix est devenue une obsession. Au Conservatoire, ma professeure, Eugénie Oliver, m’a appris à perdre mon accent du sud et mais aussi à respirer. C’est le théâtre qui m’a réappris à positionner ma colonne d’air, à comprendre qu’il ne fallait plus que je tire sur les muscles de la gorge pour parler. Je suis montée à Paris, tout en gardant cette appréhension en tête de ne pas réussir à tenir ma voix sur la durée. L’épisode déterminant est lorsqu’après la série « Un gars, une fille », on m’a proposé de jouer le rôle principal dans Théorbe, une pièce magnifique où je devais avoir un monologue de ¾ d’heure. C’était presque un seul en scène. Tout en acceptant bien sûr, j’ai eu tout à coup une montée de stress énorme en me demandant comment j’allais faire avec ma voix !

Et alors, comment avez-vous fait pour tenir vocalement un tel défi ?

On me parle alors d’une orthophoniste qui est juste en face du Théâtre de Paris. Avant de commencer les répétitions, je vais rencontrer cette femme, madame Pinna qui elle, se montre extrêmement rassurante. Elle me fait refaire des examens ORL et me dit : « Oui, c’est vrai vous avez un souffle, oui vous avez des petits nodules, mais on va travailler ». J’ai travaillé avec elle pendant 3 mois et ensuite j’ai toujours fait très attention à boire beaucoup d’eau – parce qu’il faut hydrater les cordes vocales – et à faire mes exercices quotidiennement.  Mais je n’ai jamais eu aucun souci de voix, ni pendant les 6 mois de représentations parisienne, ni pendant la tournée d’un an en province. Vous imaginez bien que je me suis fait un plaisir d’inviter la copine ORL de ma mère, qui s’est excusée, mais à qui j’ai quand même dit : « mais tu te rends compte du mal que tu as fait ? Si je n’avais pas été aussi passionnée que ça, je serais peut-être passée à côté d’une carrière parce que tu n’as pas fait ton travail de médecin, qui est de trouver des solutions et d’accompagner, et pas de casser les rêves des jeunes filles de 16 ans ! »

Vous avez une voix très similaire avec votre sœur, la comédienne Audrey Lamy. Votre propre expérience lui a-t-elle servi ?

Comme j’étais passé par là, j’ai alerté ma sœur, dès qu’elle est entrée dans le métier. Elle s’est rendu compte très vite qu’elle avait le même petit souffle dans la voix que moi, et qu’il allait falloir qu’elle y fasse très attention. Elle a pris tout de suite des cours avec madame Pinna qui lui a appris à travailler sa voix, tout en insistant sur l’originalité de son timbre comme du mien. Elle nous a dit que le travail consistait juste à s’assurer que nos cordes vocales ne se fatigueraient pas. Mais que c’était notre particularité qui donnait ce charme et ce grain à notre voix. Et c’est vrai. On retrouve cette voix chez moi, chez ma sœur et un peu chez ma fille. C’est marrant parce qu’on a toutes ce grain de voix-là qui n’est pas vraiment celui de ma mère et pas vraiment celui de mon père. Mon père a peut-être une voix qui peut parfois un peu se casser, mais non, la voix, c’est vraiment nous. C’est la marque de fabrique des sœurs Lamy. En tout cas, je suis très sensible à la voix, j’adore les voix au téléphone parce qu’on s’imagine quelqu’un qui est dans la réalité souvent si différent… C’est tout un univers une voix, et ça donne un charme extraordinaire.

 Et vous en jouez, vous, de votre voix ?

Je viens de poser ma voix sur un documentaire animalier pour France Télévisions. Je ne pensais pas que c’était si difficile de mettre l’énergie appropriée dans une voix. Comment raconter quelque chose de grave sans en faire trop, sans en rajouter du genre « Attention !!  Attention il y a le lion à droite !! ». Chercher les moments de modulation, j’adore ça. Je joue beaucoup avec la voix dans mes rôles. Des voix un peu plus charmeuses, des voix un peu plus graves, qui font plus peur, qui sont plus drôles. Par exemple, on me dit que ma voix dans la série « Un gars, une fille » n’est pas tout à fait ma voix. C’est ma voix bien sûr, elle est reconnaissable, mais elle est un peu plus aiguë. Parce que pour la comédie, peut-être que c’est mieux.

Et alors, comment votre voix vous vient-elle ? C’est le personnage qui fait venir la voix ou vous en avez une idée précise avant de commencer ?

J’ai des idées déjà. Parce qu’évidemment, quand on voit un peu un personnage, la voix et le rythme viennent avec. Par exemple, dans le téléfilm Après moi le bonheur, j’avais joué une femme qui avait un cancer. Je me suis dit que cette femme était malade, et donc qu’elle devait avoir une voix fatiguée et reprendre souvent sa respiration. Elle ne pouvait pas parler comme moi, très très vite, sans jamais reprendre son souffle. D’ailleurs, c’est ce que m’avait dit Mme Pinna quand elle me faisait parler : « vous avez vu que là vous avez quand même enchaîné quatorze phrases sans respirer une seule fois ??? ». Donc je me suis dit que pour ce rôle-là, j’allais apprendre à prendre mon temps pour parler, à mettre plus de temps à prendre ma respiration, parce que cette femme était fatiguée. Et puis, éviter ce débit extrêmement rapide et rabaisser le ton de ma voix. Dans tous mes rôles, j’ai toujours travaillé les voix selon mes personnages.

Est-ce que pour certains de vos personnages c’était plus compliqué ?

Alors oui, ça c’est drôle aussi. Après avoir fait le conservatoire, le cours Florent et le studio Pygmalion, je me suis rendu compte, comme tous les acteurs, qu’on ne sait jamais quoi faire de notre corps. Alors je suis allée à la comédie italienne, à la commedia Dell Arte rue de la Gaîté, avec Attilio Mattioli qui nous a dit : « je ne veux plus vous entendre parler, je veux que vous fassiez tout passer par le corps ». Je faisais des Pantalons, des Capitans, je racontais des histoires seulement avec le corps. Une école fabuleuse ! Mais lorsqu’il nous a demandé de coller une voix sur le personnage que nous nous étions composés, je me suis retrouvée complètement démunie. Parce que moi, ce personnage, je le voyais, je me l’étais imaginé, mais je n’avais aucune idée de sa voix. Ce qui est drôle c’est que ça a été un enfer pour trouver une voix, alors qu’au départ, j’étais quand même une comédienne de voix ! Dans la commedia dell’arte, on dissocie complètement le corps de la voix et ça donne un effet extraordinaire. On a ça aussi parfois dans le doublage des dessins animés. J’en ai fait quelque fois et ça m’a éclatée !

Et comment vous trouviez votre voix… sans le corps cette fois-ci ?!

Je regardais le personnage et je me demandais comment il pouvait parler. Selon sa taille, selon son énergie, j’essayais de me coller à lui. S’il était drôle, d’avoir la voix un peu plus haute, ou pas forcément d’ailleurs, un débit un peu plus lent ou un ton un peu plus grave. C’est très intéressant de coller une voix à un personnage.

Et vous arriviez à tenir la voix sur la longueur ? Vous l’identifiez suffisamment ?

Oui, mais je pense que c’est à cause du traumatisme que j’ai vécu avec ma voix : je la connais extrêmement bien. Avec ma sœur, on sait vraiment moduler notre voix. Et parfois on s’amuse à faire des personnages comme ça, avec nos voix. On les monte, on les speed. Mais je pense qu’effectivement on a tellement vécu cette crainte de perdre notre voix, que maintenant on sait exactement ce qu’on fait avec elle.

Vous pouvez préciser ? Qu’est-ce que ça veut dire connaître très bien sa voix ?

Ça veut dire que je sais quand elle est fragile, je sais quand il faut que je la chauffe, je sais jusqu’où je peux monter, je sais jusqu’où je peux descendre. Alors que bizarrement je ne sais pas vraiment comment je parle, puisque c’est la seule chose qu’on ne sait pas. A moins, effectivement, comme d’ailleurs vous me l’aviez conseillé, de s’enregistrer et d’apprendre à s’écouter. C’était très intéressant de m’entendre avec le micro. Mais pour les dessins animés, je m’inventais des voix que j’imaginais moi, mais dont je ne savais pas vraiment si elles allaient coller. Ça n’est qu’après, quand je les entendais, que je me rendais compte qu’elles collaient.

Donc vous fonctionnez vraiment comme une professionnelle de la voix, avec la conscience de votre instrument ? Et du coup, vous savez jusqu’où vous pouvez l’emmener, comment vous pouvez l’utiliser, c’est vraiment un matériau pour vous ?

C’est mon instrument. C’est pour ça que je fais très attention et c’est pour ça aussi que j’ai arrêté de fumer. Je n’avais pas du tout envie de terminer avec une voix de fumeuse et je me rendais compte que ça me brûlait. Et aujourd’hui, ma voix, ça va. Je sais que j’ai des polypes, qu’il faut faire attention et qu’il va falloir que je retravaille dessus. Mais en tout cas, je n’ai plus du tout ces soucis de voix.

Est-ce que lorsque vous changez de langue, par exemple que vous jouez en anglais, ça change votre voix ?

Oui. C’est très bizarre. Ma fille, qui est complètement bilingue, m’expliquait qu’au début elle s’était inventé un personnage en anglais. Parce qu’elle s’était rendu compte qu’elle ne réussirait pas à tenir le même rythme en anglais qu’en français. On parle très vite dans la famille, et ma fille parle aussi très vite. Et ça l’énervait de ne pas arriver à jouer avec l’anglais aussi vite qu’en français, notamment parce qu’il lui manquait des mots. Elle me disait : « ça me stresse, je panique, je ne parle pas bien, je dis n’importe quoi, je m’essouffle et j’en perds presque la voix ». C’est comme ça qu’elle a eu l’idée de casser son rythme français en s’inventant un personnage qui parle plus posément, qui prend son temps. Elle parle hyper bien et ça l’a énormément aidé.

Et vous, vous arrivez à faire la même chose ?

Moi je n’ai pas du tout comme ma fille ce côté bilingue, mais après qu’elle m’a expliqué ça, je me suis dit qu’effectivement, il fallait que je prenne plus mon temps, que j’essaie de moduler, sans exagérer pour que ce soit quand même assez juste, que ça me ressemble. Le problème avec le français, c’est qu’on n’a pas d’accent tonique, on ne tape pas les mots comme en anglais. Pour nous, c’est un vrai souci. Ça nous demande une modulation que nous n’avons absolument pas. Et moi, cette langue – vous l’aviez bien perçu dans le test d’écoute que vous m’aviez fait passer – elle m’agresse. C’est une langue qui est trop jazzy pour moi. Donc je me suis dit : « comment réussir à trouver un petit charme là-dedans, qui soit quand même un peu joli ? ». J’ai essayé de m’amuser à trouver une espèce de façon de parler, sans taper, pour arrondir la langue. C’est pour ça d’ailleurs que les Anglais adorent notre façon de parler : parce qu’on adoucit leur langue.

J’avais envie de vous poser une question en rapport avec votre voix de femme : que recevez-vous comme retours sur votre voix, en tant que femme ?

Alors moi, c’est plutôt en règle générale assez positif. Pour les hommes, c’est sexy qui ressort. Un peu dans la lignée des voix à la Claudia Cardinal. Les hommes aiment ces voix-là : une jolie fille qui a une voix cassée, c’est sexy, alors qu’une jolie fille qui a une voix qui monte, ça lui donne une image un peu gourde, comme si elle n’avait que son physique pour elle avec une voix un peu désagréable. C’est sans doute qu’à travers la voix cassée on entend davantage le corps, la fêlure, le côté charnel. Même les femmes me disent qu’elles aiment ce petit grain que j’ai dans la voix, ce côté un peu cassé. Mais elles soulignent surtout combien ma voix est reconnaissable. C’en est même dingue ! Ça m’est arrivé d’être reconnue au téléphone alors que je n’avais pas dit mon nom, à la boulangerie en plein hiver, avec bonnet, lunettes et masque sur le visage. On me dit : « Oh, je connais cette voix, c’est pas Alexandra Lamy ? » C’est dingue. En une phrase. Et pourtant, je trouve qu’elle a évolué. Elle a changé, même si elle garde toujours ce grain-là, un peu reconnaissable.

Il y a le grain, et puis il y a votre façon de parler : le rythme, l’énergie, les impulsions que vous mettez dans votre voix…

C’est très particulier, et ma sœur aussi. Et d’ailleurs, quand ma sœur, ma fille et moi on est au téléphone avec mon père, on s’amuse à se passer les unes aux autres, et au bout d’un moment mon père dit : « bon, c’est laquelle ? C’est la petite, c’est la grande, c’est la moyenne, c’est qui là ??? ». Par exemple, ça m’est arrivé de me faire passer pour ma fille auprès de mon père. Et il y a cru. Parce que je sais comment elle lui parle, je sais que je peux traficoter ma voix, mon rythme et mes mots pour faire comme elle : « Oh merci mon petit papi, c’est trop mignon… ». Quelle horreur ! J’ai dit à ma fille après : « c’est absolument atroce ce que je viens de faire !!!

Alors justement, qu’est-ce que ça vous fait ? On peut avoir la même voix que sa mère, sa fille ou sa sœur, mais généralement ce sont les autres qui le font remarquer, et ça concerne certaines intonations. Mais là, vous, vous savez. Et vous le sentez, vous l’entendez qu’il y a vraiment une vraie proximité, une vraie familiarité de voix entre vous trois. Qu’est-ce que ça vous fait à vous d’avoir presque la même voix que votre sœur et que votre fille ?

En fait j’aime bien. Bizarrement, ça ne me dérange absolument pas. J’ai l’impression que c’est notre petite marque de fabrique, de voix reconnaissables. Ça crée une famille, c’est notre famille. En fait, cette voix fait partie de nous. Maintenant en plus, avec le cinéma, on a appris à s’entendre. J’entends ma sœur. Je l’ai reconnu aux premières intonations, dans une interview où on me demandait de reconnaître des personnalités à leur rire. Ça a bluffé tout le monde ! Et quand j’entends ma sœur, j’entends ma voix forcément, puisque nous avons à peu près la même. Par contre le rythme est différent et la voix chantée aussi. Ma sœur elle, a une voix incroyable pour chanter Céline Dion alors que moi j’en suis incapable. C’est bizarre, alors qu’on a par ailleurs la même voix, que moi je n’aie jamais pu chanter. Alors si, ça m’est arrivé pour un film, mais je l’ai fait en tant que comédienne, pas en tant que chanteuse.

Une dernière question, quel est le rêve que vous auriez maintenant pour votre voix ?

Justement, de pouvoir chanter. Parce que souvent, lorsqu’on me demande si je peux chanter, ça me complexe de ne pas avoir un organe qui puisse le faire. Donc oui, j’aimerais bien pouvoir retrouver ça, ou plus exactement le trouver, parce que je ne l’ai jamais eu…

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