Sonya Mellah, la voix des sirènes d’aujourd’hui
La voix de Sonya Mellah c’est une voix chaude, mélodieuse, enveloppante. Elle nous donnerait envie de rester des heures à écouter sa diction parfaite et ses phrases ciselées nous parler de son métier de comédienne et de « voix » de FIP radio. Elle était venue chez Tomatis® chercher quelque chose d’autre avec sa voix. Comme une nouvelle relation de confiance. A travers son travail d’écoute, Sonya a tracé un chemin vers sa voix qui a été en même temps un chemin vers soi. Elle nous parle de la voix de la fipette, celle qu’elle fabriquait à ses débuts et celle qu’elle a réussi peu à peu à réinventer de l’intérieur…
Pour écouter la voix de Sonya Mellah c’est ici
Pourriez-vous me raconter comment vous êtes devenue l’une des voix de FIP radio ?
D’abord la radio est un média de prédilection dans l’histoire de ma famille. J’ai souvenir de mon grand-père qui était un grand présentateur de radio au Maroc, en trois langues. L’oralité était très importante dans ma famille, c’était comme un label de qualité. Donc la radio, on lui faisait confiance. C’était le volet masculin de l’oralité, alors que le pouvoir de la voix des femmes se trouvait dans la cuisine, là où se racontent les histoires. On l’écoutait beaucoup. La télé, c’étaient les images, et on s’en méfiait. Alors qu’on pouvait tout écouter. On se cultivait par la radio et par la voix.
Quelles voix de femmes avez-vous entendues quand vous étiez enfant ?
Les voix de ma mère et de ma grand-mère, qui ont je trouve de très belles voix. Ce sont des voix rondes, féminines, hurlantes, impactantes, sucrées, manipulatrices, incarnées, incisives.
Des voix très corporelles ?
Oui absolument. Pas du tout des voix de tête, des voix aspirées. J’ai toujours eu l’impression que ça criait pour parler, mais c’était juste une façon de se positionner. J’ai toujours vécu un déphasage entre les voix de ma mère ou de ma grand-mère et l’extérieur, l’école, ce quartier bourgeois parisien où déjà on nous apprenait à nous mettre en rang, à nous canaliser. Moi je vivais une réalité très méditerranéenne.
Ça veut dire que vos parents ont conservé un lien très fort avec la culture de leur pays d’origine, même en vivant en France ?
Oui. Ma mère est née au Maroc et mon père en Algérie. Ils se sont connus totalement par hasard place de la République à Paris. Il se sont mariés dans le Marais, on prit ensuite deux bistrots, et ont fait leur vie loin de leurs pays respectifs. Mais ma mère adorait parler arabe et avait du mal à parler français.
Dans le premier bar de mes parents, j’ai côtoyé toutes les langues : des gitans, des Italiens, des Portugais… Il y avait plein d’accents, c’était une sorte de village du monde. Il y avait les habitués du comptoir, les histoires qu’on racontait. C’était magique ! Le personnage principal était le juke-box. Chacun avait son titre, et on devait l’écouter solennellement. Ça en disait long sur lui et sur son état émotionnel. Il y avait de tout : de la musique orientale, pied noir, espagnole. Je me rappelle d’un habitué, Rachid, qui venait d’Alger. Il adorait Elvis Presley et se faisait appeler Rachid Twist. Sa chanson à lui c’était « You don’t have to say you love me » d’Elvis Presley, on l’écoutait le soir et Rachid pleurait. C’était presque déjà une émission de radio. C’est de là que me vient le goût de la parole éphémère, comme à la radio. Mais aussi le lien avec les autres à travers la parole.
Je sais que vous n’avez pas commencé par la radio mais par votre métier de comédienne…
J’ai toujours fait du théâtre et de la danse. J’ai adoré mon parcours de danse parce qu’il était silencieux, c’était un endroit où je n’avais pas à parler. J’adore d’ailleurs les rôles muets, d’observation. Et adolescente j’ai fait de la radio associative. Je faisais des portraits pour la radio italienne de Paris, des interviews sur les vendeurs de mozzarella par exemple. J’aimais raconter les histoires des autres et donner la parole aussi. Quand j’ai commencé mes études de théâtre chez Jean Perimony, j’ai tout de suite eu un goût très naturel pour le texte et la poésie. On m’avait fait remarquer très tôt que j’avais une grande qualité de diction, quelque chose de facile, d’évident. Or il y avait comme un fossé entre ma diction et mon physique très méditerranéen. En sortant de l’école je rêvais de jouer Shakespeare ou Molière. Je me voyais du côté du texte, de la poésie, du lyrisme, de la prononciation, des auteurs… en réalité c’est plutôt dans l’audiovisuel que ça a fonctionné…
Vous pensez que ça n’a pas été possible sur scène à cause de votre physique ?
Je crois surtout qu’on incarne les situations comme on veut les voir et les entendre. Je n’étais pas assez armée pour me battre, pour dire ce que je voulais. Alors comment j’ai dealé avec la réalité ? J’avais été baignée dans les fictions radio de France Inter et France Culture – je dormais avec les podcasts la nuit – donc je me suis dit que j’allais faire une formation en voix. Comme ça je pourrais être qui je voulais. Ça a été un acte de résistance. J’ai commencé une première formation voix à l’INA. Ça me correspondait bien car j’aimais ce label de studio des années 70, des vieux crooners de la radio artisanale. Et ça a été un très bon choix On m’a dit tout de suite que j’avais vraiment le registre radio France.
Comment vous définiriez cette voix radio France ?
Les mots de Pascale Clarke, féminins, intelligents, articulés, posés, cultivés, lents. Il y a un truc comme ça qui joue de la lenteur. J’ai pris conscience de ça en même temps que mes camarades et mes profs me le disaient. Je pense que l’histoire de FIP est née du désir et de la projection des autres.
Ça ne vous parlait pas à ce moment-là ?
J’écoutais FIP, mais pour moi c’était tellement de la haute couture, que je ne pouvais pas imaginer que ce soit pour moi. J’écoutais en boucle Jeanne Vinay qui était arrivée à 17 ans en 1970 au moment où FIP a commencé. A l’époque, FIP faisait passer les castings dans le noir pour pas se laisser influencer par le physique. Elle est entrée juste pour un job d’été et elle y est restée 50 ans. Pour moi il y a eu tout de suite ce côté complètement sexy d’être seule au micro : le féminin seul, assumé, qui trace sa route. A FIP, c’est pas un micro qu’on partage. On parle pas aux plus large, on n’est pas sur France Inter. On choisit un auditeur imaginaire avec lequel on crée de l’intime.
En même temps c’est un paradoxe car vous savez que cet intime est partagé par des milliers d’auditeurs…
Pour moi c’est du cinéma radiophonique, on est presque dans une scène d’amour avec cent mille caméras. Et il faut accepter d’aller à cet endroit-là. Et toute l’équipe derrière la vitre avec soi. Tout ce qui se prépare avant est magnifique. C’est 17 secondes et la vie tient à ces 17 secondes-là. Après on souffle, on ferme les micros, tout le monde derrière la vitre vous félicite, et on fait baisser l’adrénaline pendant 8 minutes avant de recommencer. Et c’est ça pendant 4h d’émission. C’est comme des bulles de champagne dans la tête. Après on est assez épuisé. Comme après une opération chirurgicale super importante.
Pour assumer toute cette tension vous devez beaucoup préparer je suppose…
Oui, je prépare beaucoup. Même quand on improvise on doit beaucoup préparer. C’est comme si on avait placé un minuscule et magnifique diamant sur un bijou final, et on ne peut pas se tromper. En même temps, cela me demande un certain travestissement. C’est vraiment jouer à la « fipette ». Je mets le rouge à lèvres de Betty Boop, ça monte dans les aigus et je vous séduis avec cette petite voix que je chuchote. Je choisis volontairement de pas timbrer, et je laisse mes finales en l’air. Cette voix FIP, c’est très présent dans l’inconscient collectif depuis 50 ans. C’est l’émanation du féminin.
Qu’est-ce que cette voix doit faire à l’auditeur ?
Ça doit le protéger, ça doit l’émoustiller, le surprendre, lui donner des vibrations sensorielles, le faire rire. Et ne pas l’obliger à devoir tendre l’oreille, c’est dans le cahier des charges ça. Ça veut dire qu’on peut raconter n’importe quoi, mais qu’il faut accepter que FIP soit un fond sonore, comme un flux de voix, sans que l’auditeur ait le désir de monter le volume quand on parle.
Si votre voix doit se fondre dans le flux de la musique, elle est elle-même comme une musique supplémentaire ?
Oui, absolument. Comme un trait d’union avec la musique d’après ou la boucle d’après. On fait main dans la main avec les programmes musicaux, en fait cela devient un moment musical. Les playlists sont choisies pour créer un fond sonore chez vous et vous permettre de vous concentrer. Mais aussi pour vous donner la sensation qu’on est les détenteurs d’une trouvaille, d’une pépite. On a l’impression que la musique est jouée pour vous, et il y a ce truc-là de la rareté. En fait vous êtes détenteur de ces niches, de ce qu’on ne voit pas.
L’auditeur de FIP c’est plutôt un homme ? A qui vous adressez-vous ?
Oui c’est plutôt un homme, solitaire, célibataire, autonome, indépendant, qui travaille de chez lui. C’est un artiste, un créateur qui a besoin en catimini de cette présence féminine et musicale de qualité.
A votre avis, qu’est-ce que cette oreille masculine aime dans la voix qu’il entend sur FIP ?
Elle aime le côté suave, posé. A chaque fois que je prends un taxi, je demande au chauffeur ce qu’il en pense. « Vous parlez, mais vous ne me cassez pas la tête. Vous parlez juste ce qu’il faut, un petit peu. Et puis tout ce que vous dites c’est drôle, c’est original ». Ce « pas trop » est horrible pour moi…
Est-ce qu’il y a une idée de charme derrière ?
Je pense que oui. C’est un phénomène sociologique que cette identification de la voix de FIP à la voix de la femme. Alors pour pleins de raisons : la première c’est qu’on ne voit jamais les visages des voix de FIP, y compris dans les communications ; la deuxième c’est que quand je quitte l’antenne, je ne dis pas au revoir. Ma collègue reprend l’antenne et c’est comme si c’était une seule et même voix. Le mec qui écoute FIP pense qu’il entend LA voix de FIP. Il y a eu des histoires dans les années 80 de fipettes qui étaient attendues à la sortie des studios par un homme qui était persuadé qu’elle lui parlait à lui. D’ailleurs à ma petite échelle, je peux recevoir parfois 10 messages de copains qui me disent « olala j’ai eu vraiment l’impression que tu parlais pour moi ». Et puis il y a le logo de FIP qui est rose. Une étude a démontré qu’il y a une couleur vocale – chaque radio a sa couleur. En tout cas, ce sont des voix qui sont entendues aujourd’hui comme des voix sensuelles.
Avez-vous fait évoluer votre voix depuis vos débuts à FIP ?
Oui, 5 ans après et grâce à tout mon parcours personnel avec la voix, l’essentiel pour moi aujourd’hui c’est d’aller à l’endroit de la page blanche. Dans l’acting. Dans un rapport authentique et incarné avec moi-même. Je pense qu’aujourd’hui la voix féminine radiophonique et qui plus est de FIP, doit être la voix qui accepte de partir de cet endroit-là pour toucher l’auditeur et dialoguer avec lui. Avant je fabriquais du beau, du catalogue, qui allait bien avec mon côté diplomatique, mon besoin de plaire à tout le monde. Il faut s’arrêter de mentir, de fabriquer une relation un peu fake avec l’homme. Parce qu’on génère du fantasme. Forcément.
Vous ne vous adressez pas aux femmes, sinon vous ne parleriez pas comme ça ?
Oui en effet, complètement.
Donc même si vous faites en sorte d’être authentique, vous faites quelque chose avec votre voix que vous ne faites que lorsque vous vous adressez à un homme ?
Oui, et comme par hasard, chez les metteurs en onde, il n’y a qu’une femme sur 10. D’ailleurs les quelques expériences que j’ai pu avoir avec des metteuses en onde ont toujours été compliquées pour moi. C’est compliqué et presque gênant de faire assister une femme à ce genre de scène. En fait c’est comme si on savait qu’on jouait à une sorte de jeu un peu aguichant du genre « je vous souffle un truc et je repars après », et qu’avec elle on pouvait être démasquée. Avec une femme, ça serait plus naturel, on chercherait le partage, comme si je la prenais par la main en lui disant « viens avec moi, je voudrais tellement te montrer cette expo ». Tout de suite il y aurait un autre type d’engagement. Mais ce n’est pas ce qu’on attend de nous.
Donc on pourrait dire finalement que FIP c’est une radio pour les hommes ? Si je pousse un peu, la cible serait même l’homme hétérosexuel, celui qui est attiré par une voix de femme.
Je le sais bien, les études le confirment. Mais c’est aussi un jeu.
Ça peut tout aussi bien être fascinant pour des femmes d’écouter cette radio parce qu’elles entendent un modèle de voix de femme tel qu’elles aimeraient l’avoir ?
Tout à fait. Je connais de nombreuses comédiennes avec des voix magnifiques qui donneraient tout pour être fipette.
Comment on sort du jeu du coup ? Comment faites-vous avec votre voix, entre la voix de FIP et celle de la comédienne que vous êtes ?
Au départ les deux voix se sont confondues. Je pensais que Sonya c’était la voix de FIP. Ma vie entière tournait autour de FIP. J’étais devenu une caricature. Jusqu’à ce qu’une directrice de casting me repère et me contacte pour un premier rôle dans un film de Sergio Robini. J’étais tellement dans mon monde qu’il a fallu qu’elle me rappelle pour que je réponde. Mais je n’y croyais pas. Je suis allée à Rome passer les essais en espérant que ça ne marcherait pas.
Pourquoi vous espériez que ça ne marche pas ?
Parce que j’étais bookée pour la saison à FIP. J’avais à peu près 40 dates, je faisais de gros live, et j’étais en train de devenir une star de FIP, au rang de Jeanne. Ce casting m’a fait renouer tout à coup avec mes aspirations profondes de comédienne, c’était ce que j’avais toujours voulu faire : jouer dans un film italien. Quand à la sortie des essais le réalisateur m’a pris dans les bras en me disant : « Pour moi Nour, c’est toi », je lui ai répondu « franchement, si c’est pas moi, c’est pas grave ! ». J’ai mis plusieurs semaines avant de décider de le faire et donc d’oser rendre toutes les dates que je devais à FIP. C’était presque un affront parce que tout le monde crève d’envie d’avoir cette place. En fait ils l’ont très bien pris, ça les a même rendus un peu fiers qu’une fipette parte faire un film en Italie…
Comment depuis avez- vous réussi à combiner les deux ?
Le film est passé à la Mostra de Venise. Là je n’étais plus la fipette mais Sonya Mellah. Et pourtant, c’est bizarre parce que je pense que je l’ai pas complètement incarné. Ma priorité du moment c’était la peur de quitter FIP, d’être jugée et de pas être reprise, au lieu de capitaliser sur ce film. J’étais très touchée parce que l’équipe de FIP est venue à l’avant-première française du film. C’est dans leur miroir que j’ai vu la confiance qu’ils avaient en « Sonya comédienne ». Et aujourd’hui c’est la voix de la comédienne qui est présente à FIP, qui dit de la poésie, des extraits de théâtre, des textes dans les langues que je parle. Il y a un mois, lors de la nuit de la lecture, j’ai lu deux extraits en italien et en arabe, ce qui n’avait jamais été fait à FIP auparavant. J’étais devenue Sonya comédienne cosmopolite multi-langues qui parlait à FIP. Et donc j’ai eu l’impression que je faisais bouger un peu le plafond de verre.
C’est après cette expérience de « Sonya comédienne » que vous avez changé votre rapport à la voix en tant que comédienne sur FIP ?
Oui et puis bien sûr avec mon parcours Tomatis qui m’a sorti de la bulle dans laquelle j’étais, à l’extérieur comme à l’intérieur. Après je me suis sentie comme un animal sauvage, sortir du bocal et renifler ce qui se passe à l’extérieur. Aujourd’hui le côté rose de FIP j’en parle différemment : pour moi maintenant c’est une adolescente insolente qui promet d’être une femme plus habitée. Alors que celle qu’ils ont invitée pour être la marraine des 50 ans de FIP, c’est Charlotte Gainsbourg. Pour moi, c’est tout un symbole dans lequel je ne me reconnais plus du tout : la femme-enfant avec une petite voix qui chuchote. Et derrière elle une figure masculine très forte – Serge Gainsbourg. Mais quelle femme elle devient ? Quelle voix elle a ?
Vous avez la liberté d’apporter au sein de FIP ce ton d’adolescente rebelle ?
Aujourd’hui oui. Je travaille beaucoup avec les couleurs et les odeurs. J’ai donné au secteur voix la couleur rose framboise, celle qui symbolise pour moi l’insolence de l’adolescence. C’est la tâche de framboise qui reste, la fille qui veut pas aller changer de robe, qui veut dire les choses vraiment. Aujourd’hui donc je m’attelle à cette couleur rose framboise plus proche de la comédienne que ne l’était le rose poudré de la danse classique que j’aimais tant. La fipette peut et doit être dans la réalité. Elle doit pouvoir parler les pieds nus dans l’herbe, depuis ce côté nature, plus naturel. Sinon c’est de la cosmétique. J’ai une image très forte du rayon mauvais rouge à lèvres à Monoprix. Ça veut dire kitsch, ça veut dire faux, papier glacé. Presque de mauvais goût.
Est-ce qu’il y a encore des aspects de cette voix qui vous résistent ?
J’ai fait une formation de doublage en septembre, et j’ai vraiment vu à quel point c’était difficile de sortir de la voix de la fipette. On me disait « vas-y, il faut que la voix entre dans l’image, il faut être là à 300% ». Or la voix de FIP ne demande pas d’engagement physique. À FIP on vous demande de chuchoter, de réduire. Comme si plus c’était réduit plus c’était magique, sexy, efficace. Maintenant je sais que quand je fais plusieurs sessions FIP d’affilées, ça me demande presque des séances de nettoyages énergétiques. Il faut relancer le corps, être dans le cardio, faire monter le sang, sinon c’est l’Aristochat sur le piano.
C’est comme si ça vous demandait une forme de rééducation pour reconquérir la voix plus incarnée des femmes de votre famille …
Absolument. Être fipette c’est un truc en soi. Je pourrais très bien être la relève de Jeanne et ne faire que ça, vivre dans ce monastère et me contenter de petits flirts radiophoniques avec des jazzmen. C’est un autre code, un autre pays. On ne se dit pas les choses, même avec les programmateurs et la hiérarchie. Il ne faut pas brusquer. Quand je suis rentrée d’Italie, j’étais plus incarnée, plus en chair. Mais on reprend vite le pli de la formalité à FIP. C’est presque le ballet de l’opéra de Paris : on fait les pointes, on se fait mal aux orteils et on dit rien. Mais la vie c’est pas ça. Ça m’a pris du temps pour le comprendre et arrêter de dire que je travaillais à FIP. Par exemple à un dîner, où le simple fait que j’en parle sabotait le dîner tellement ça rendait fous les gens. Assez récemment j’ai commencé à accepter de dire simplement : « je suis Sonya et je suis comédienne ».
Vous ruinez moins les dîners…
Oui, j’apprends à écouter les autres et pas à entrer dans une sorte subterfuge, comme lorsqu’on jette un sort pour hypnotiser quelqu’un … Ça m’a joué vraiment des tours. Se retrouver à un festival, dire qu’on est à FIP et être présentée par une attachée de presse à un réalisateur comme journaliste à FIP, c’est le pire. Après il faut ramer. Si la relation et bien construite, on peu glisser un jour « en fait, je joue aussi » … mais les gens ne peuvent pas imaginer que vous soyez à FIP et que vous fassiez quelque chose d’autre. C’est un truc trop fort. Je pense que j’aimerais arrêter pour récupérer toute ma peau, ma voix, toute mon énergie pour moi. J’en rêve…
C’est comme un deuil à faire, non ?
Quand j’ai fait la maquette de voix pour entrer chez FIP, c’était dans des circonstances très spéciales. Mon père était en fin de vie, j’étais à l’hôpital et j’attendais. J’ai enregistré cette maquette comme un défi à la mort. Mon père meurt pendant le week-end des attaques du Bataclan et on met beaucoup de temps à le faire enterrer à cause des attentats. Au moment où je sors du cimetière, en larmes, sous un soleil magnifique, mon téléphone sonne et j’entends : « Bonjour, je suis le directeur de la musique de FIP, on a bien reçu votre maquette, on a adoré, on voudrait bien vous proposer une date ». Mon père a été enterré peu de jours avant Noël, et Noël sans lui ça allait être vraiment terrible. Or FIP me proposait un essai le jour de Noël. Je ne pouvais pas retenir mes larmes. 5 ans après, ce 13 novembre, je retourne au cimetière et à la place de l’oiseau qui était sur la tombe de mon père ce jour-là, il y avait un chat. 5 ans après j’ai vraiment l’impression d’avoir clôturé le deuil. Et c’est à ce moment-là que j’ai vraiment eu envie de partir de FIP.