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Luciole, "je veux être une voix, pas un écho"

Luciole, « je veux être une voix, pas un écho »

Lucile a été l’une de mes plus jeunes élèves de chant. Elle avait 13 ans à l’époque et déjà un talent inné de la voix et de la scène. Depuis elle est devenue Luciole, une autrice compositrice et interprète à l’univers poétique et au verbe puissant. Double championne de France de Slam, Coup de cœur de l’Académie Charles Cros, elle fera partie des artistes que Grand Corps Malade choisit d’inviter sur l’un de ses albums. Au service des mots, la voix de Luciole leur donne un relief et une chair qui nous saisit par l’oreille et ne nous lâche plus. Notre échange nous a conduit à évoquer la place pas toujours facile de la voix dans le quotidien d’une chanteuse d’aujourd’hui…

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Pour voir le clip de la chanson « Un Cri » c’est ici

Pour accéder au site officiel de Luciole c’est ici

 

Quel chemin parcouru depuis les cours de chant de la jeune Lucile de 13 ans…

Je me souviens tellement de nos spectacles. Ça a été des années assez charnières, même si à l’époque je n’imaginais pas que ça serait mon métier…

Comment as-tu plongé dans le professionnalisme ? Quel en a été le déclencheur ?

Ça a été très progressif. Je ne m’imaginais pas du tout musicienne. J’ai fait un bac théâtre à Rennes, parce que la dimension scénique était très importante pour moi. Au jury du bac qui m’avait demandé ce que j’allais faire après, j’ai répondu une fac d’histoire. Ils m’ont dit tout de suite « Ah mais non, pas du tout ! Il faut que vous continuiez, que vous vous inscriviez au Conservatoire ! ». Donc c’est ce que j’ai fait, en menant de front la fac et le Conservatoire d’Art Dramatique pendant deux ans. C’était une première préparation psychologique à l’idée que j’allais faire de la scène mon métier.

Mais le vrai déclencheur a été la découverte du Slam à la fin du Lycée. J’ai très vite pratiqué et très vite j’ai été adoptée par cette famille dans laquelle on était peu nombreux à l’époque : Grand Corps Malade n’avait pas encore sorti d’album, le Slam était en plein essor mais pas encore très connu. Nous étions très peu de filles et j’étais la plus jeune, donc j’étais un peu comme la petite sœur. Assez vite j’ai gagné des Championnats nationaux. Et quand Grand Corps Malade a sorti son disque, toutes les maisons de disque ont voulu avoir leur slameur ou leur slameuse. J’ai participé en 2006 à une compilation en Major et très rapidement cette Major m’a proposé un contrat pour faire un disque à moi. Alors, même si finalement pour de nombreuses raisons je n’ai pas sorti cet album, la graine était semée. C’était certainement ce à quoi j’avais toujours rêvé depuis toute petite. Et mes parents m’ont soutenue pour que je tente ma chance à Paris. J’étais galvanisée par ma petite notoriété dans le monde du Slam et cette proposition de disque qui me donnaient vraiment confiance. Mon premier album est sorti 3 ans après, en 2009.

Comment es-tu passé du Slam aux chansons ?

Au début je concevais plus le Slam comme de la voix parlée, parce que j’étais aussi au Conservatoire de théâtre. Et puis j’ai été opérée de nodules en 2005 à l’issue de ma première année, et j’ai arrêté les cours de chant pour me concentrer sur la rééducation. Mais comme j’ai toujours aimé chanter, je me suis mise petit à petit à ajouter du chant a capella dans mes textes de Slam, ce qui a donné le mélange qu’on retrouve sur le premier album. Sur l’EP qui a suivi et sur le deuxième album, j’ai eu envie de m’assumer en tant que chanteuse. Pendant un moment, ça m’a agacée qu’on m’appelle la slameuse, alors que je chantais avant de découvrir le slam et que je ne fais pas de différences dans mon écriture entre les textes de slam et celui des chansons. Le Slam peut être très péjoratif pour certaines personnes.

Encore aujourd’hui, dans mes spectacles, j’aime garder un moment de performance parlée. J’aime éprouver cette sensation d’être toute seule sur scène, sans soutien musical, avec juste le corps et la voix. En tant que chanteuse, je reste quelqu’un qui raconte, même si ce ne sont pas des histoires telles qu’on se les fait raconter quand on est enfant, avec des personnages, des actions et des éléments perturbateurs. C’est poétique et plus abstrait que ça.

Quand je t’écoute, j’entends que ta voix a beaucoup changé. Qu’elle s’est posée, arrondie, qu’elle a mûri. Sens-tu de ton côté que ta voix a évolué et comment le vis-tu ?

Oui, on l’entend beaucoup sur le nouveau disque. Est-ce la grossesse ? J’ai composé et écrit les textes pendant que j’étais enceinte, et enregistré les titres après. J’ai l’impression que ma voix est plus grave et que j’ai plus exploité le bas. Je la sens qui évolue. Je m’autorise aussi sans doute plus de choses dans l’élaboration de mes mélodies. Ça n’est pas forcément conscient, ça se fait comme ça de façon naturelle.

Dirais-tu que l’évolution de ta voix te guide dans ton écriture ?

Ce qui est sûr c’est que mes nouvelles chansons sont plus sombres, plus intimes, plus graves. Ma façon d’adopter ce timbre-là est donc peut-être aussi lié à mon écriture. Je me suis rendue compte assez récemment, à l’occasion d’un concert filmé, que pendant cette dernière année et demie durant laquelle je ne suis pas montée sur scène, j’avais très peu considéré ma voix comme un instrument de travail. Je préparais la suite, mais je n’utilisais pas ma voix, je ne chantais pas. Et je me rends compte à quel point je ressens maintenant le besoin de la travailler, de la pratiquer, de reprendre des cours de chant, parce qu’elle se fatigue plus vite et que certains automatismes ont disparu. Peut-être aussi parce que je suis plus fatiguée avec une enfant qui se réveille beaucoup la nuit ! Depuis 3 ans je chante plus des berceuses du bout des lèvres que je ne chante vraiment des chansons et je me rends compte que j’ai besoin de plus grand, que j’ai besoin de plus que ça…

Est-ce que tu dirais que ta voix accompagne ton travail de chanteuse mais que tu ne t’en empares pas vraiment comme instrument ?

Oui, j’ai parfois l’impression qu’elle est juste là… un peu comme ma main est là… et que je ne la considère pas assez. J’ai un complexe par rapport aux musiciens qui peuvent avoir un instrument extérieur à eux. Moi je ne me sens pas en totale maîtrise de mon instrument et j’ai du mal encore à assumer que je sois musicienne. Je trouve que ne m’investis pas assez, que je ne m’implique pas assez dans son travail. J’ai revu une prof de chant lyrique pour travailler quelque chose de très précis, une note que j’arrivais à passer en studio mais pas dans l’énergie du live en concert. Et ça a été très intéressant de prendre du temps pour travailler sur ma voix. Pas facile d’arriver à garder ce temps-là au quotidien avec la casquette d’auto-productrice…

Ça voudrait dire quoi pour toi, maîtriser davantage ta voix ?

Je regrette mes années de solfège, de théorie musicale et parfois je me dis que peut-être il faudrait que je reprenne à zéro la compréhension du fonctionnement de la voix, même anatomiquement parlant. Repartir des bases. Peut-être que je me sentirais plus en confiance. J’ai toujours peur de la fatigue vocale, je crains la douleur, la voix qui tire, la voix de Barry White les lendemains de concerts. Et puis peut-être que je me sentirais plus légitime, j’ai l’impression d’en savoir si peu… Cela dit, au fond je sais que ce qui fait que je suis l’artiste que je suis, au-delà de la voix qui est la mienne, c’est la dimension des mots, la sensibilité et l’émotion, l’interprétation. Je sais que ce sont mes atouts, les forces sur lesquelles je peux m’appuyer. La voix c’est juste quelque chose en plus que je souhaiterais travailler pour faire taire cette autre petite voix qui parfois s’insinue en moi…

Est-ce que ça un sens pour toi d’utiliser ta voix en tant que femme ?

Je ne me suis jamais questionnée là-dessus, peut-être parce que j’ai toujours été préservée dans la façon dont j’ai été élevée. Je n’ai jamais eu l’impression par exemple que je ne pourrais pas faire les choses de la même façon parce que j’étais une femme et pas un homme. J’ai écrit un texte qui s’appelle « Voix » qui est une chanson féministe. Et puis je ne l’ai pas mise sur mon disque, parce que je n’arrivais pas à l’assumer, à me sentir légitime pour la chanter moi-même. Je l’ai donnée à un projet qui s’appelle les Funambules, qui porte un projet autour des femmes. Le refrain dit : Parce qu’on a une voix[1]

C’est très intéressant que tu aies écrit quelque chose là-dessus mais que tu ne le chantes pas…

Alors je le dis autrement sur le disque, à travers un titre où j’écris qu’aujourd’hui je veux être une voix, pas un écho, en reprenant une citation d’Einstein que j’ai tournée d’une autre façon. Ce n’est pas en tant que femme que je me suis posé cette question – celle de la façon dont je me fais entendre et dont je suis entendue. Mais si je discute avec certaines de mes amies, elles me disent que c’est parce que je suis une femme que je me pose cette question de cette façon, et que je ne m’en rends pas compte. De me faire entendre et d’être entendue. C’est drôle, l’intitulé de mes ateliers, c’est Écrire pour être entendu. C’est écrire pour les oreilles. J’écris toujours à voix haute, je suis incapable d’écrire sans oraliser tout ce que j’écris. J’ai besoin d’entendre comment ça sonne, d’entendre la mélodie, la rythmique que ça provoque. Je ne peux pas écrire dans un lieu public par exemple, quand il y a du bruit autour, car j’ai besoin d’entendre ce que j’écris.

As-tu l’impression que c’est plus difficile pour une femme artiste de se faire entendre ?

C’est sans doute plus difficile sans que je m’en rende compte. J’ai toujours pensé que c’était difficile parce que c’était moi qui n’étais pas assez ceci ou pas assez cela, mais il y a certainement des moments où ça joue, le fait d’être une femme. Ce qui me gêne le plus dans le fait d’être une femme artiste, c’est de ne pas avoir assez de modèles. Pour autant on a de la chance, la génération des chanteuses qui ont entre 5 et 10 ans de plus que moi, les Camille, les Jeanne Cherhal, les Yaël Naïm, ont un peu ouvert la voie. Mais je ne sais pas comment je vais vieillir en tant que femme artiste. À part Anne Sylvestre qui malheureusement n’est plus, Juliette, Catherine Ringer… où sont-elles les « vieilles chanteuses » ? Je n’ai pas beaucoup de modèles de chanteuses qui ont réussi après 40 ans, dans le sens qui ont réussi à être visibles d’un public plus large, et ça me questionne beaucoup … Je me sens être d’une génération un peu entre deux : on n’est pas les petits jeunes « digital native », on n’est pas non plus celles qui ont connu l’âge d’or du disque… Du coup j’ai l’impression d’être de la génération qui doit inventer toute seule, et je ne trouve pas ça simple.

Quand tu l’utilises pleinement, qu’est-ce que ta voix te permet de dire, de vivre et de transmettre ?

Ce que je souhaite transmettre ce sont des émotions et j’ai l’impression que j’y parviens. Je chante pour évacuer des choses que j’ai besoin de dire et je dis ces choses-là dans l’espoir que les gens qui entendront mes mots se reconnaîtront un peu et seront touchés. C’est un partage, un échange. Je le fais parce que j’aime partager de cette façon-là et que j’aime transformer ce que je ressens de cette façon-là. Et si en plus au passage, ça peut provoquer chez les gens des émotions, c’est encore mieux ! C’est aussi pour ça que je monte sur scène avec mes mots et mes chansons et pas tellement ceux des autres, ou que j’ai très vite abandonné l’idée d’être comédienne, parce que j’avais envie de monter sur scène avec mes mots à moi.

Est-ce que ta voix chantée te permet d’être toi-même ?

J’ai rarement la sensation d’être vraiment moi-même à part sur scène. Même en studio. Je déteste le studio parce que je déteste fixer, faire des choix, prendre des décisions. Mais quand je suis sur scène j’arrive à tout oublier, à ne plus me poser de questions. Tout d’un coup j’ai l’impression d’être à la bonne place et de n’avoir rien d’autre à faire, d’être pleinement dans le présent. La scène, le spectacle vivant, c’est vraiment ce qui me fait vibrer. Et tout ce qu’il y a autour, le moment où la salle n’est pas encore dans le noir et où on entend les gens derrière et où on est fébrile… on y vit une sorte de mise à nu et d’impudeur totale, alors que dans la vie, je suis souvent si pudique et si renfermée. J’ai été une petite fille et une ado assez extravertie mais surtout par le biais de la scène. C’était peut-être aussi pour cacher d’autres failles ou d’autres malaises. Et c’est pour ça que j’en ai tant besoin, parce que ce sont des moments d’ouverture. Donc quand ça commence à faire longtemps que je ne suis pas montée sur scène, le malaise est un peu croissant malheureusement… Assez souvent je me dis que lorsque je m’éloigne trop de la pratique de mon métier, je ne me sens pas parfaitement bien. Il y a un truc qui coince.

Du coup, quel serait ton plus grand rêve ?

J’aimerais pouvoir faire la même chose que maintenant sans avoir l’impression que c’est une lutte, continuer à écrire des chansons et à les interpréter en étant deux ou trois marches plus haut sur l’escalier. Je ne rêve pas de Stade de France, mais juste de pouvoir faire mon métier un peu plus confortablement sans rien avoir à prouver. Et si je devais rêver de quelque chose, j’aimerais bien monter sur scène devant un public qui vient me voir moi et chante mes chansons parce qu’il les connaît déjà. Pour le moment je tourne dans un réseau de salles qui fonctionnent beaucoup par abonnements où les 2/3 des gens dans la salle ne savent pas ce qu’ils viennent voir. Maintenant que je le sais, je sais aussi quel levier actionner pour petit à petit les attraper, mais c’est fatiguant. J’aimerais juste arriver et que ce soit évident, ce que je peux ressentir parfois devant un public familier qui est déjà acquis, ou à domicile à Paris où les gens savent ce qu’ils viennent voir. Ça fait 12 ans que je suis dans le métier, j’en suis à mon 4ème spectacle et ma 4ème tournée. J’ai commencé très jeune, je viens d’avoir 35 ans et certains jours je me sens un peu vieille… alors qu’il y a des petits jeunes qui arrivent avec une créativité complètement folle, et qui du jour au lendemain se retrouvent propulsés en haut de l’affiche. Je trouve que pour la confiance ça n’est pas simple.

Qu’est-ce que toi tu peux apporter avec un peu plus de maturité ?

Je ne me pose pas la question sous cette forme. Quand on écoute mes disques, on voit l’évolution de mes propos. J’aime bien que ce soit comme des clichés, des photos de ce qui me préoccupait à une période. A chaque fois j’ai l’impression de parler à des gens de mon âge, à mes paires…

Je suppose que tu as aussi besoin du retour du public. Comment les gens reçoivent-ils tes chansons et as-tu déjà été surprise par certains retours ?

Je reçois souvent des messages du type « cette chanson m’a accompagné… », « cette chanson parle de moi… », et c’est toujours très touchant. J’ai été surprise par les retours liés au TED talk que j’ai fait il y a quelques années à Cannes. C’était une forme hybride, à moitié conférence à moitié performance, où j’interprétais des textes a capella et où je parlais du succès, des doutes et des difficultés d’avoir confiance en soi. J’ai été surprise par l’engouement qu’il a suscité – il a un peu plus de 100 000 vues aujourd’hui -, même si j’ai tout de suite senti que ça avait été impactant pour le public. Plus que surprise, j’ai été touchée et surtout fière qu’il puisse être inspirant pour tant de gens, comme d’autres TED ont pu l’être pour moi.

C’est ce que tu souhaiterais aussi pour tes chansons, qu’elles soient inspirantes ?

Oui, c’est tout le propos du spectacle sur lequel je travaille. Quand je vais voir un spectacle, j’aime être touchée, remuée, émue, et j’essaie à tout prix que ce soit le cas dans mes spectacles, qu’ils ne soient pas seulement un tour de chant. Je ne me considère pas comme une chanteuse à voix qui est attendue pour ses capacités vocales. Donc je ne suis pas là juste pour chanter ou pour produire une prouesse technique. Ce qui compte pour moi c’est le propos, ce que je raconte à l’intérieur aussi.

Tes chansons te permettent-elles d’exprimer certaines choses que tu n’arriverais pas à exprimer dans la vie avec des mots ou avec ta voix ?

Oui, j’exprime beaucoup plus dans mes chansons. Ça toujours été cathartique, comme une façon de transformer les choses pour se soigner, pour que quelque chose de moche devienne quelque chose de beau, pour évacuer aussi toutes mes pensées. Mon album, c’est un peu la pensine de Dumbledore !

Dans mon nouveau disque, mes chansons sont plus sombres, plus graves et parlent, pour certaines, de mal-être physique. Je suis arrivée à un moment où je ne me voyais pas parler d’autre chose que de ça. L’album s’appelle « Un Cri ». Il y a plein de façons de crier, des cris de joie, de ralliement, de plaisir… Le cri c’est surtout quelque chose qu’on ne peut pas retenir, c’est quelque chose de spontané, comme une urgence qu’on lâche et qui doit sortir, qu’on ne peut pas réprimer. Et tant pis si c’est pas toujours joli, si ça n’est pas toujours gai, et tant pis si c’est plus sombre. Je ne suis pas une Narcisse qui choisit ce qu’elle fait pour que ça plaise ou que ça marche. Je fais les choses pour moi et ensuite je les partage.

 

[1] Un grand merci à Luciole de m’avoir autorisée à reproduire ce texte.

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