Skip links
Elsa Zylberstein, dans la voix d'une femme de pouvoir

Elsa Zylberstein, dans la voix d’une femme de pouvoir

On ne présente plus Elsa Zylberstein, comédienne de talent aux multiples facettes. Quand je l’ai rencontrée, elle commençait à préparer le rôle-titre du biopic d’Olivier Dahan, Simone, et avait eu l’idée géniale d’entraîner son oreille à entendre les inflexions de la voix de Simone Veil grâce à la méthode Tomatis. Ce projet était complètement inédit, tout était à inventer, sans assurance que cela marcherait. On a cherché ensemble, construit ensemble un parcours d’entraînement pour son oreille et pour sa voix. Et voilà ce que ça a donné…

Pour écouter la voix d’Elsa Zylberstein c’est ici

 

Comment êtes-vous entrée dans la voix de Simone Veil ?

Je cherchais une porte d’entrée au niveau de la voix et du corps. Je me demandais comment j’allais réussir à retranscrire son rythme de parole, car elle a une façon particulière de parler, il fallait que je l’intègre. Un jour je me suis dit : « on apprend l’anglais chez Tomatis, pourquoi on n’apprendrait pas ça ?». Et ça a été le début de l’aventure …

On a commencé un truc complètement fou. On a étudié les sons que j’entendais dans mon oreille droite et mon oreille gauche. On a observé les sons que j’écoutais, ceux que je percevais et ceux que je ne percevais pas. Puis j’ai écouté des musiques pendant plusieurs semaines et ensuite les discours de Simone qu’on avait enregistrés. Enfin, j’ai dû répéter des fragments de discours qui étaient ralentis pour que je perçoive mieux le rythme et les intonations de sa voix. Et petit à petit on les accélérait.

Après des mois d’écoute et de répétition, j’ai intégré une manière de parler. Même dans ma vie, mes amis me disaient que je parlais comme Simone. Je l’avais tellement en moi que ça n’était même plus forcé. J’avais sa musique, sa tonalité. C’était devenu une seconde nature.

Comment s’est fait l’équilibre dans le film entre l’emprunt à la voix de Simone Veil et votre propre interprétation du personnage ?

Dans le film c’est subtil, il y a des bribes, des restes, y compris dans les voix off que je fais également. Simone a une manière différente de parler quand elle est en interview, en discours et dans la vie. Pour les voix off le réalisateur voulait qu’elles soient plus neutres que ce que Simone aurait pu faire, même si on a aussi intégré des voix off de référence de Simone.

Pour les discours que j’ai répétés avec Tomatis, ceux de l’Assemblée nationale par exemple, j’ai collé exactement à sa musique. Parfois Olivier me demandait de m’en écarter, de pousser les curseurs d’un côté ou de l’autre, d’être plus énervée par exemple, mais pour l’Assemblée nationale c’était plus important de coller à sa musique. Pour le discours de la Mutualité aussi, quand elle s’énerve, j’ai pris exactement la même musique. A certains moments je m’énerve plus qu’elle, j’interprète aussi.

Le travail qu’on a fait ensemble m’a aidée à entrer dans d’autres scènes écrites par Olivier où je n’avais pas de repères. Parfois je calquais des trucs en me disant « ces mots-là, elle les aurait dits comme ça », ça m’a aidé à trouver mon idée de la vérité. Une interview n’est pas une scène dans un salon, elle ne répond pas de la même manière. Je la connaissais Simone Veil, je l’ai rencontrée de son vivant, donc ça m’a aidée aussi.

Comment décririez-vous la voix de Simone Veil de l’intérieur ?

Quand on est actrice, tout vient de l’intérieur. Elle a une voix assez hésitante, elle se reprend tout le temps, elle dit des débuts de phrases, elle les arrête. J’ai découvert qu’elle pouvait hésiter, être fébrile aussi comme quand elle est au Parlement. Et puis elle a une façon de fermer les phrases qui est assez cinglante parfois. Sa manière de parler est assez chantante dans ses discours, et ça je voulais le restaurer. Je n’ai pas regardé d’autres actrices dans des téléfilms parce que je ne voulais pas que ce soit moi. C’est toujours soi-même qui joue quelque chose, mais je voulais m’effacer totalement derrière Simone.

Vous pensez que vous y êtes arrivée ?

Oui, j’y suis arrivée.

Et ça fait quoi alors de s’effacer complètement derrière une voix, un personnage ?

Je n’en revenais pas, le film est magnifique. Ce n’est pas prétentieux quand je dis ça, moi je ne me vois plus à l’écran. Bien sûr, c’est un mélange de nous deux, forcément. Mais je ne vois plus Elsa.

C’était la première fois que vous travailliez de cette façon-là ?

Oui, c’était la première fois que je faisais ça pour un rôle. Quand un personnage est connu comme Simone Veil, c’est compliqué. J’ai joué par exemple Jeanne Hebuterne dans Modigliani, mais personne ne sait comment elle parlait, ce n’est pas grave. Simone Veil c’est une figure historique, c’est une figure française récente, même si on oublie un peu comment elle parle avec le temps. Pour moi il était hors de question que j’ose me projeter en elle sans me dire « je vais trouver sa musique, je vais essayer d’adhérer à ses mots ». Je voulais trouver une véracité dans sa manière de parler, dans ses hésitations, dans son trouble. Ce cadre-là était important pour trouver le rôle.

Est-ce que vous avez aussi eu besoin de rentrer dans son corps, un peu à la manière de l’actor studio ?

Je ne travaille que comme ça en fait. J’ai eu beau prendre 9 kilos, mes épaules, mes os ne peuvent pas bouger. J’ai des hanches très fines, donc il fallait me les grossir, me rajouter des épaules. Les kilos il fallait les prendre sur le visage, beaucoup sur le ventre, les fesses et les cuisses. Mais ça ne fait pas la démarche, il a fallu trouver comment elle marchait. Je me déplaçais dans mon appartement avec les chaussures de Simone, avec le padding des hanches et ma coache me disait si ça allait ou pas. Je l’ai beaucoup regardée sur les films qu’on a d’elle, 5h par jour pendant des mois, avec des coachs qui m’ont aidée. Puis pendant le tournage, je me levais à 4-5h du matin et j’avais 7h de maquillage en vieille dame. Pendant 1h30 soit de 4h30 du matin jusqu’à 6h j’écoutais sa voix avec Tomatis.

Et vous n’avez pas saturé au bout d’un moment ? Parce que ça a duré longtemps quand même…

Pas du tout. Oui ça a duré longtemps mais avec beaucoup d’arrêts, de reprises. C’étaient surtout les arrêts qui étaient durs. J’aurais pu continuer, je l’avais en moi.

Simone Veil vous a-t-elle transmis quelque chose ?

Oui, je ne peux pas dire ça pour tous les rôles, mais là je peux dire que oui. Elle m’a donné beaucoup de force, d’enseignement, de courage. Au moment du film, elle m’a aidée à vivre. Quand on voit par quoi elle est passée aussi, dans ses interviews et qu’elle parle de ce qu’elle a vécu, on se dit quelle force, quelle audace, quelle femme ! Elle est là, elle ne se plaint pas, elle avance tête haute, fébrile parfois, beaucoup plus fragile qu’on ne pense. Mais d’une droiture et d’une dignité hallucinante. C’est un modèle pour moi.

Ce rôle a été une étape dans votre parcours de comédienne ?

C’est évident. Déjà le challenge que je me suis donné d’y arriver. Je suis fière de ce que j’ai fait, du travail avec Olivier Dahan, du travail que j’ai fait en coulisse avec Tomatis, avec mes coachs. De réussir ça, c’était un pari fou.

Par rapport à ses engagements politiques, féministes, est-ce que ça a réveillé en vous quelque chose?

Oui peut être. J’en parlais l’autre soir avec son fils Jean Veil en dînant. Ça n’est pas du tout une féministe comme les féministes d’aujourd’hui qui me semblent souvent dans l’excès. D’ailleurs à de nombreuses reprises, dans le film on le voit, on lui demande si elle est féministe et elle dit non d’abord, puis elle dit oui. Évidemment elle est féministe, mais son féminisme c’est plutôt : honneur aux femmes, vaillantes, courageuses ! En 1974, en 1980, elle se bat pour être magistrate, elle ne peut pas être avocate parce que ça n’est accepté pour les femmes que depuis très peu de temps. Par rapport à la position de la femme dans la société et les familles, elle est carrément hors normes. Elle travaille, elle s’engage. Ses revendications sont saines et justes : la femme doit avoir le droit de voter, d’exister, de travailler. On est alors dans les années 70-80, nous on est beaucoup plus loin maintenant. Il y a encore des batailles à mener et on est en train d’y arriver, même s’il faut encore se battre. Ça m’a donné du courage dans mon féminisme.

Est-ce que ça vous est déjà arrivé de devoir modifier votre voix pour un rôle ?

Je devais faire un autre biopic il y a 3 ans. Finalement ça ne s’est pas fait. Mais à ce moment-là, je m’étais dit qu’il faudrait que j’aille voir un ORL pour changer ma voix. En fait, la voix se modifie d’elle-même quand je change de rôle. J’ai souvent changé de voix, imperceptiblement pour des rôles, sans m’en rendre compte. Là dans le rôle que je vais aborder prochainement, le personnage a une voix plus grave que moi. Naturellement, c’est aussi dans l’énergie de ce qu’on est en train de jouer que la voix se transforme.

J’ai l’impression qu’avec Simone Veil vous êtes allée dans l’autre sens : vous êtes allée, par la voix et par l’écoute, de la voix vers le rôle, alors que peut-être d’habitude c’est le rôle qui vous emmène à la voix. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas faux ce que vous dites. Normalement c’est le rôle qui m’emmène à la voix. Quand je faisais le film avec Raoul Ruiz j’avais une voix très cristalline ; il y a des rôles où j’ai une voix plus rauque. Là je vais jouer une vigneronne dont la voix va être plus saccadée. Pour Simone c’est beaucoup la voix qui m’a amenée au rôle, même s’il a fallu aussi y entrer par le corps.

C’est passionnant, c’est tellement singulier comme travail…

Ça c’est vrai ! Je me dis que c’est un accomplissement, et qu’on l’a réussi ensemble !

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience Web.