Skip links
Catherine Guerniou, une voix de femme pour diriger les hommes

Catherine Guerniou, une voix de femme pour diriger les hommes

La voix de Catherine Guerniou est celle d’une femme d’action, qui a son franc parlé et l’habitude de conduire, mener et entraîner, tout en sachant se remettre en question. Elle dirige depuis plus de 15 ans l’entreprise La Fenêtrière et s’est beaucoup impliquée dans le soutien à l’entreprenariat féminin au sein de la Fédération Française du Bâtiment. Aujourd’hui membre du Conseil économique social et environnemental, elle a reçu en 2021 le Trophée Madame Artisanat pour son engagement au sein de son secteur professionnel. J’ai découvert avec Catherine que le respect et la reconnaissance qu’on lui accorde en tant que dirigeante tient tout autant à sa force de caractère qu’au souffle nouveau qu’elle sait donner à la fonction managériale…

Pour écouter la voix de Catherine Guerniou c’est ici

 

Je voulais vous poser la question qui me brûle les lèvres : diriger une entreprise d’hommes, en tant que femme, ça se passe comment ?

Ça se passe bien ! Je pense qu’on se met soi-même beaucoup de plafonds de verres. Il faut savoir que l’entreprise était auparavant dirigée par mes parents, tout le monde était déjà habitué à une présence féminine avec ma mère. Cependant elle est beaucoup plus incisive, ce que je ne suis pas, et qui me permet d’obtenir beaucoup plus de choses ! Mon management est très participatif : c’est une équipée qui se forme, sans aucune différenciation. J’essaie toujours de rester dans le dialogue, ce qui facilite grandement les choses. Il est certain malgré tout que ça m’est beaucoup plus facile aujourd’hui que ça ne l’était il y a 15 ans : j’ai beaucoup plus d’assise dans mon travail, plus de confiance en moi aussi et en mes compétences.

A quels enjeux étiez-vous confrontée que vous avez dû dépasser ?

J’ai dû répondre à une double contrainte : d’abord le fait d’être une femme jeune, et en plus d’être la fille de. Il faut savoir faire sa place, et il m’est arrivé d’avoir des réactions inadaptées liées au manque de recul. Par contre, j’ai su me remettre en question et me dire : « oui, là je n’ai pas été bonne, je me suis trompée, qu’est-ce que je peux faire pour changer ? ». Quand j’ai repris l’entreprise, j’ai mis assez rapidement en place une GPEC[1], une démarche compétence, qui a permis à toute l’équipe de se questionner. C’est un peu comme si vous faisiez entrer un psy dans l’entreprise, ça peut même être perturbant, mais ça permet à tout le monde de grandir ensemble. Peu importe si vous êtes un homme ou une femme, si on s’intéresse à vous, qu’on vous écoute, qu’on vous valorise, qu’on vous rassure, ça change tout ! J’ai aussi été accompagnée par une psychologue qui m’a beaucoup aidée à me positionner. Aujourd’hui j’ai la chance de pouvoir choisir ce que j’ai envie de faire et de ne pas subir.

A quoi devez-vous être attentive en tant que femme dirigeante ?

Il est certain que je fais très attention à mes recrutements. Ça m’est déjà arrivé par exemple de ne pas prendre quelqu’un dont j’avais senti qu’il aurait des difficultés avec l’autorité féminine. Les femmes ont une façon de dire les choses, plus en lien avec l’émotion qui permet parfois de faciliter les relations mais qu’il faut aussi savoir accueillir. Dans des situations un peu extrêmes, ils m’ont déjà vue pleurée. Ça m’est arrivé de mettre carte sur table, en disant « je suis épuisée, je ne sais plus comment faire, il faut m’aider ». Je pense qu’un homme aurait beaucoup plus de difficultés à faire ça.

Connaissez-vous des situations où être une femme dirigeante peut poser plus de problèmes ?

C’est peut-être un peu plus compliqué au sein des organisations professionnelles et des réseaux dans lesquels je suis engagée. Ce sont souvent des milieux très masculins, où c’est ego contre ego parce que nous sommes toutes et tous des dirigeants d’entreprises.

Qu’avez-vous trouvé difficile à surmonter ?

Le fait qu’il y ait encore beaucoup d’a priori. On part du principe que vous n’allez pas faire le job, parce que vous êtes jeune et que vous n’y connaissez rien. Même si les choses bougent depuis une dizaine d’année, il faut s’accrocher et avoir du tempérament, de la ténacité. J’ai cette force de caractère que j’ai héritée de mes parents, ça fait aussi partie de mon éducation de savoir avoir du répondant. Il m’arrive de m’écrouler, mais derrière, immédiatement je me dis : « tu repars à cheval et tu y vas, ce qui vient de se passer doit te donner le courage de ne pas te laisser abattre ! »

Avez-vous eu besoin de démontrer cette force-là pour être acceptée et respectée dans ce milieu ?

Oui, même s’il faut faire preuve en même temps de diplomatie pour ne pas heurter. Écouter, dialoguer, discuter, tout en continuant à avancer vers son objectif. C’est en permanence assez stratégique.

Pensez-vous que ça le soit encore plus pour une femme que pour un homme ?

Ah oui, bien sûr, on nous attend beaucoup plus et quasiment à tous les tournants ! Il faut avoir deux trois coups d’avance et être beaucoup plus compétentes. Ce qui sans doute fait qu’on se met une très grande pression. Il faut que ce soit bien fait. Cela dit, même si le milieu est plus hostile, on y reçoit aussi plus de reconnaissance, d’encouragement, de retours positifs.

J’ai été décorée de l’ordre national du mérite il y a quatre ans. Certains étaient très contents pour moi, d’autres peut-être un peu jaloux… L’un de mes collègues m’a clairement demandé si j’avais couché pour l’avoir… Comme de son côté, il venait d’avoir la légion d’honneur, je lui ai demandé « et pour toi, comment ça s’est passé ? ». Il a été tellement scié, qu’il est devenu tout rouge !

Quelles sont les forces que vous avez développées au contact de ce milieu ?

Je suis une femme de consensus et je sais emmener les gens dans une belle dynamique. Mon côté joyeux, solaire et épicurien me fait chercher les moments de convivialité avec les autres. Mais au début, je n’en étais pas consciente et cette expérience m’a aidée à en faire une force.

J’ai travaillé sur des points qui étaient plus difficiles pour moi : par exemple, comme je suis beaucoup dans l’émotion, je rougis très vite. On m’a conseillé d’accepter de rougir ou d’avoir des trémolos dans la voix, et même parfois de dire, par exemple « vous m’apportez de l’émotion » ou « vous m’intimez », pour faire baisser la pression. J’ai aussi appris à poser ma voix.

Comment avez-vous fait ?

J’ai réalisé que lorsque je poussais ma voix et que je m’énervais, mon cœur palpitait, ma tension montait, et qu’ensuite la retombée était épuisante. J’ai suivi des formations sur la prise de parole en public qui m’ont appris à respirer dans les moments où le stress pouvait m’oppresser. J’ai aussi pris des cours de chant lyrique. J’essaie de ne pas trop lire mes discours et j’utilise beaucoup le mindmapping pour me sentir plus disponible, plus à l’écoute et en interaction avec les autres.

Les médias sont assez séduits par l’image d’une femme dirigeante dans le bâtiment, en région parisienne, avec un atelier de production. Ils viennent assez souvent dans l’entreprise, ce qui m’a entraînée finalement aux prises de parole et aux pitchs, et m’a permis de mettre en application ce que j’avais appris. Je m’aperçois de la grande évolution de mes prises de paroles par rapport au début. Et d’ailleurs, le rendu est de plus en plus conforme à la conversation que j’ai eue avec les journalistes. J’apprends aussi à ne pas trop me disperser, à rester sur deux ou trois idées fortes. Tout ça, ça s’apprend.

Diriez-vous qu’une femme dirigeante doit apprendre tout ça, là où les hommes finalement n’ont pas à l’apprendre ?

Non, il n’y a pas de différence de ce côté-là. Un homme doit le faire autant qu’une femme. Par contre là encore, les femmes ont tendance à beaucoup plus se remettre en question, parce qu’elles se mettent elles-mêmes des barrières. Le nombre d’hommes qui lisent leur texte et qui sont ennuyeux… Souvent ils ne font pas le boulot, alors qu’ils doivent le faire tout comme nous ! Et ceux qui en ont le courage deviennent de très bons orateurs, comme les femmes qui s’engagent dans ce travail deviennent de bonnes oratrices.

Avez-vous eu des expériences où vous n’étiez pas écoutée parce que vous n’arriviez pas à vous faire entendre avec votre voix ?

Bien sûr. J’ai un cas assez probant. J’étais présidente de la commission Communication à l’Union des métiers du bois pendant au moins 7 ans. Un jour, lors d’une réunion face à des professionnels dont beaucoup connaissaient ma fonction, et alors que je présentais le sujet, j’ai été interpellée par quelqu’un qui m’a reproché d’être « une agence de com ». Ce à quoi je lui ai rétorqué, que non, j’étais comme lui, une menuisière et une collègue, qui cherchait à faire connaître nos métiers et à valoriser nos matières. Alors était-ce dû à ma voix, peut-être, à une position, sans doute aussi, ne m’étais-je pas fait bien comprendre, c’est possible. Mais je sais qu’il n’aurait jamais interpelé un homme de cette façon-là.

Aujourd’hui, cela m’arrive moins souvent. Je dis peut-être les choses plus calmement, de manière plus posée, peut-être plus ferme. Je me sens douce et cool, mais visiblement parfois je peux être ferme et directive, dire les choses de façon assez sèche.

Diriez-vous que vous avez développé une forme d’assertivité et d’assurance qui peut être difficile à recevoir de la part d’un homme ?

Oui et notre société est encore très bloquée là-dessus. Dans ma sphère professionnelle, ça passe très bien. Mais dans la sphère privée, ça n’est plus la même chose. Je sens que les hommes ont plus de difficultés pour beaucoup à être face à une femme de caractère. Je pense que ça leur fait peur.

Ce qui voudrait dire que pour passer dans le domaine personnel, une femme devrait adoucir sa présence ?

Visiblement dans notre société, oui c’est encore assez marqué. Après avoir été accompagnée par une coache en image, j’essaie aujourd’hui par exemple de jouer avec des couleurs de vêtements un peu plus douces. Malgré tout, on ne peut pas complètement se défaire de sa nature…

Dans votre milieu professionnel, quelle est la proportion de femmes ?

Maintenant on trouve de plus en plus de femmes conductrices de travaux sur les chantiers, parce qu’on s’aperçoit qu’elles savent beaucoup mieux être dans le consensus et que cela donne de bien meilleurs résultats. Ça se féminise aussi de plus en plus chez les commerciaux de matières premières. Certains de mes collègues hommes expriment clairement qu’ils sont contents d’avoir des collaboratrices femmes à leur côté, parce que cette mixité leur apporte un meilleur équilibre.

Au niveau des dirigeants, qu’est-ce que ça change profondément qu’il y ait plus de femmes dans un secteur comme celui du bâtiment ?

J’ai quelques exemples autour de moi de femmes dirigeantes qui sont très engagées au niveau de la RSE[2] et qui développent des méthodes de management beaucoup plus ouvertes et participatives. Je crois que les femmes sont beaucoup plus équipées moralement et psychologiquement pour aborder la révolution qui est en train de se produire et pour faire émerger ce que je pense être le management de demain. Elles sont beaucoup plus disposées au changement, ne serait-ce qu’au niveau de leur corps, et sont habituées, dans leur quotidien, à switcher entre différents univers, facilité que les hommes n’ont pas autant, sans doute parce qu’ils ont eu l’habitude depuis toujours de laisser les femmes gérer cette partie-là. Paradoxalement, ce qui peut être un boulet pour nous devient aujourd’hui une force !

Qu’est-ce qu’un secteur traditionnellement occupé par les hommes demande de plus aux femmes ?

Elles doivent avoir du répondant, ne pas se laisser marcher sur les pieds et savoir recadrer les personnes qui pourraient se permettre de dériver. Nous ne sommes pas coupables, donc nous ne devons pas nous victimiser quand nous prenons la parole. On doit savoir rétorquer : « bon, maintenant tu te tais, tu m’écoutes, j’ai aussi mon mot à dire ». Une femme qui a peur de vexer, qui se pose trop de question avant de parler, ne va pas y arriver. Il faut savoir être une femme d’action, tout comme les hommes dirigeants sont des hommes d’action. Par contre, on doit faire comprendre aux hommes qu’on a aussi le droit de se tromper, tout comme eux ; qu’une femme n’a pas besoin d’écrire une thèse en trois volumes avant d’avoir le droit de s’exprimer, quand pour eux trois lignes suffisent…

Avez-vous le sentiment en tant que dirigeante d’être un peu une ambassadrice de cette posture-là ?

Oui, aujourd’hui je ressens que je suis une porte-parole et que ce que j’exprime, je ne le fais pas seulement pour moi, Catherine, mais pour nous toutes. Lorsqu’on m’interroge, je vais donner mon opinion, certes, mais je vais penser en même temps à toutes les entreprises qui sont dans la même situation que moi et rencontrer les mêmes difficultés. Je parle aussi pour le bien commun. Quand on me pose des questions sur le statut ou la place des femmes, j’essaie à travers mon témoignage de valoriser nous toutes.

 

[1] La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences est une méthode pour adapter les emplois, les effectifs et les compétences à la stratégie des entreprises et aux modifications de leurs environnements économique, technologique, social et juridique.

[2] La Responsabilité Sociale des Entreprises est « la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable » (Ministère de l’économie, des finances et de la relance, economie.gouv.fr)

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience Web.